La sécheresse persistante contraint la Catalogne à limiter la consommation d’eau
Les réservoirs sont descendus à 16 % de leurs capacités, un seuil critique. Particuliers, entreprises, agriculteurs : six millions de personnes subissent les restrictions imposées par le gouvernement régional dans la province de Barcelone et une partie de celle de Gérone.
Par Sandrine Morel (Madrid, correspondante)
Publié hier à 18h33, modifié à 02h59
Début janvier, les agences météorologiques catalane et espagnole avaient annoncé, enfin, l’arrivée de trombes d’eau sur Barcelone : au moins 150 litres de pluie par mètre carré, assuraient-elles. Il n’est finalement tombé que 15 litres. Suffisamment pour que cela soit célébré sur les réseaux sociaux comme la promesse de la fin d’une sécheresse interminable. Ce qui n’a pas été le cas. Pis, le mois de janvier 2024 a été le plus chaud jamais enregistré.
Jeudi 1er février, le niveau des immenses réservoirs et lacs de barrage, construits dans les années 1960 pour emmagasiner l’eau de pluie, dont dépend notamment l’agglomération de Barcelone, est descendu sous la barre des 100 hectomètres cubes d’eau, soit 16 % de leur capacité, un seuil considéré comme critique par le gouvernement catalan. Il a donc pris la décision de décréter l’état d’urgence pour sécheresse et de renforcer les mesures de restriction de consommation d’eau déjà mises en place très progressivement ces deux dernières années. « Cette crise nous met à l’épreuve, a déclaré le président du gouvernement régional catalan, de la gauche indépendantiste, Pere Aragonès. Nous devons nous préparer à une nouvelle réalité climatique. »
Par sa durée, son intensité et la superficie concernée, la sécheresse qui frappe la Catalogne depuis plus de trois ans est « la plus grave jamais enregistrée par les services pluviométriques ». Quarante mois de manque de pluie et de nouveaux records de température ont réduit drastiquement le débit des fleuves et des rivières et épuisé les réservoirs. « La courbe de croissance des températures que nous observons n’était pas prévue avant la deuxième moitié du siècle », souligne la directrice du service météorologique de Catalogne, Sarai Sarroca.
Six millions de personnes concernées
Plus de 6 millions de personnes, soit 92 % de la population et 52 % du territoire, sont concernées par les nouvelles restrictions d’eau approuvées jeudi. Durant cette première phase de l’état d’urgence, les municipalités devront se charger de limiter la consommation d’eau à 200 litres par habitant et par jour, sous peine de sanctions économiques, notamment en limitant la pression dans les robinets. La ville de Barcelone, dont la consommation moyenne est de 177 litres par habitant et par jour, ne devrait pas être concernée dans un premier temps. Si les réservoirs descendent sous les 66 hectomètres cubes d’eau, la phase 2 sera appliquée et la dotation sera réduite à 180 litres. A moins de 33 hectomètres cubes, la phase 3 limitera l’eau à 160 litres par personne et par jour. Les particuliers qui font un mauvais usage de l’eau pourront être sanctionnés par des amendes allant jusqu’à 3 000 euros.
Cependant ce sont les agriculteurs, dont les puits sont à sec, qui sont les plus mis à contribution : ils devront réduire l’irrigation de 80 %. « Beaucoup ont déjà préféré ne pas semer plutôt que perdre leur récolte », explique le porte-parole de l’Union des paysans de Catalogne, Josep Carles Vicente. Lui-même a perdu 95 % de sa production d’olives l’an dernier. « Avec les aides et en nous endettant, nous pouvons tenir encore cette année, mais si la sécheresse se prolonge, l’activité agraire ne sera plus viable », ajoute-t-il. Les éleveurs de vaches ou de cochons, contraints de réduire de 50 % leur consommation en eau, se préparent à vendre prématurément leurs bêtes et à réduire leur cheptel, mais ils exigent les moyens de préserver au moins les truies porteuses.
Les industries devront pour leur part réduire de 25 % leur consommation d’eau, tout comme les « activités récréatives ». L’arrosage des jardins a été interdit, sauf pour la survie des arbres. Les clubs de sport doivent fermer les douches des vestiaires. Et, contrairement à l’an dernier, lorsqu’ils avaient été rangés dans la catégorie des refuges climatiques, nécessaires pour affronter les canicules, les hôtels n’ont plus le droit de remplir leur piscine. Déjà, ils s’inquiètent de voir fuir les touristes, s’il ne pleut pas au printemps. Le gouvernement catalan a quant à lui pris contact avec des compagnies maritimes capables de transporter de l’eau potable par cargo à Barcelone.
« Changer de modèle »
Selon M. Aragonès, l’activation du plan de lutte contre la sécheresse dès l’automne 2021 a permis de « retarder de quinze mois » la déclaration d’état d’urgence. Durant ce laps de temps, les deux usines de dessalement, qui utilisent d’ordinaire entre 10 % et 20 % de leur capacité, se sont mises à fonctionner à plein régime, tout comme les vingt-quatre stations de régénération et réutilisation de l’eau. L’eau ainsi produite couvre à présent plus de 55 % de la demande. Pour réduire davantage la dépendance à l’eau de pluie, plus de 2,4 milliards d’euros seront consacrés jusqu’en 2027 à la construction d’une nouvelle usine de dessalement, à l’agrandissement d’une autre, à la mise en marche de nouvelles stations de régénération et réutilisation de l’eau, ou encore à la potabilisation du fleuve du Besos. D’ici là, les Catalans continueront de scruter le ciel.
« Il faut changer ce modèle », fondé sur « l’importation de touristes et l’exportation de l’eau sous forme de fruits, de cochons et de fourrage », a demandé la porte-parole du Groupe de défense du Ter (fleuve), Dolors Catalan, le 21 janvier, lors d’une réunion organisée par une trentaine d’associations écologistes et sociales pour dénoncer la « mauvaise gestion » de l’eau, qui, « associée au changement climatique », est selon elles à l’origine de la sécheresse. Et de rappeler que selon l’indice d’exploitation de l’eau, 31 % de l’eau douce disponible de Catalogne est surexploitée, que 57 % des eaux souterraines sont contaminées aux nitrates à cause de l’agriculture et de l’élevage intensif (principalement de porcs), que le modèle économique basé sur le tourisme a supposé la venue de 16,9 millions de visiteurs internationaux en 2023 (+ 21 %), et que les usines de dessalement, qui devraient servir de béquilles en cas de sécheresse, sont devenues des sources structurelles d’approvisionnement en eau.
La Catalogne n’est pas la seule région en Espagne frappée par une sécheresse historique. Tout le territoire situé à l’est d’une diagonale reliant Figueras (Catalogne) à Cadix (Andalousie) se trouve dans une situation grave.
Sandrine Morel(Madrid, correspondante)
Les réservoirs sont descendus à 16 % de leurs capacités, un seuil critique. Particuliers, entreprises, agriculteurs : six millions de personnes subissent les restrictions imposées par le gouvernement régional dans la province de Barcelone et une partie de celle de Gérone.
Par Sandrine Morel (Madrid, correspondante)
Publié hier à 18h33, modifié à 02h59
Début janvier, les agences météorologiques catalane et espagnole avaient annoncé, enfin, l’arrivée de trombes d’eau sur Barcelone : au moins 150 litres de pluie par mètre carré, assuraient-elles. Il n’est finalement tombé que 15 litres. Suffisamment pour que cela soit célébré sur les réseaux sociaux comme la promesse de la fin d’une sécheresse interminable. Ce qui n’a pas été le cas. Pis, le mois de janvier 2024 a été le plus chaud jamais enregistré.
Jeudi 1er février, le niveau des immenses réservoirs et lacs de barrage, construits dans les années 1960 pour emmagasiner l’eau de pluie, dont dépend notamment l’agglomération de Barcelone, est descendu sous la barre des 100 hectomètres cubes d’eau, soit 16 % de leur capacité, un seuil considéré comme critique par le gouvernement catalan. Il a donc pris la décision de décréter l’état d’urgence pour sécheresse et de renforcer les mesures de restriction de consommation d’eau déjà mises en place très progressivement ces deux dernières années. « Cette crise nous met à l’épreuve, a déclaré le président du gouvernement régional catalan, de la gauche indépendantiste, Pere Aragonès. Nous devons nous préparer à une nouvelle réalité climatique. »
Par sa durée, son intensité et la superficie concernée, la sécheresse qui frappe la Catalogne depuis plus de trois ans est « la plus grave jamais enregistrée par les services pluviométriques ». Quarante mois de manque de pluie et de nouveaux records de température ont réduit drastiquement le débit des fleuves et des rivières et épuisé les réservoirs. « La courbe de croissance des températures que nous observons n’était pas prévue avant la deuxième moitié du siècle », souligne la directrice du service météorologique de Catalogne, Sarai Sarroca.
Six millions de personnes concernées
Plus de 6 millions de personnes, soit 92 % de la population et 52 % du territoire, sont concernées par les nouvelles restrictions d’eau approuvées jeudi. Durant cette première phase de l’état d’urgence, les municipalités devront se charger de limiter la consommation d’eau à 200 litres par habitant et par jour, sous peine de sanctions économiques, notamment en limitant la pression dans les robinets. La ville de Barcelone, dont la consommation moyenne est de 177 litres par habitant et par jour, ne devrait pas être concernée dans un premier temps. Si les réservoirs descendent sous les 66 hectomètres cubes d’eau, la phase 2 sera appliquée et la dotation sera réduite à 180 litres. A moins de 33 hectomètres cubes, la phase 3 limitera l’eau à 160 litres par personne et par jour. Les particuliers qui font un mauvais usage de l’eau pourront être sanctionnés par des amendes allant jusqu’à 3 000 euros.
Cependant ce sont les agriculteurs, dont les puits sont à sec, qui sont les plus mis à contribution : ils devront réduire l’irrigation de 80 %. « Beaucoup ont déjà préféré ne pas semer plutôt que perdre leur récolte », explique le porte-parole de l’Union des paysans de Catalogne, Josep Carles Vicente. Lui-même a perdu 95 % de sa production d’olives l’an dernier. « Avec les aides et en nous endettant, nous pouvons tenir encore cette année, mais si la sécheresse se prolonge, l’activité agraire ne sera plus viable », ajoute-t-il. Les éleveurs de vaches ou de cochons, contraints de réduire de 50 % leur consommation en eau, se préparent à vendre prématurément leurs bêtes et à réduire leur cheptel, mais ils exigent les moyens de préserver au moins les truies porteuses.
Les industries devront pour leur part réduire de 25 % leur consommation d’eau, tout comme les « activités récréatives ». L’arrosage des jardins a été interdit, sauf pour la survie des arbres. Les clubs de sport doivent fermer les douches des vestiaires. Et, contrairement à l’an dernier, lorsqu’ils avaient été rangés dans la catégorie des refuges climatiques, nécessaires pour affronter les canicules, les hôtels n’ont plus le droit de remplir leur piscine. Déjà, ils s’inquiètent de voir fuir les touristes, s’il ne pleut pas au printemps. Le gouvernement catalan a quant à lui pris contact avec des compagnies maritimes capables de transporter de l’eau potable par cargo à Barcelone.
« Changer de modèle »
Selon M. Aragonès, l’activation du plan de lutte contre la sécheresse dès l’automne 2021 a permis de « retarder de quinze mois » la déclaration d’état d’urgence. Durant ce laps de temps, les deux usines de dessalement, qui utilisent d’ordinaire entre 10 % et 20 % de leur capacité, se sont mises à fonctionner à plein régime, tout comme les vingt-quatre stations de régénération et réutilisation de l’eau. L’eau ainsi produite couvre à présent plus de 55 % de la demande. Pour réduire davantage la dépendance à l’eau de pluie, plus de 2,4 milliards d’euros seront consacrés jusqu’en 2027 à la construction d’une nouvelle usine de dessalement, à l’agrandissement d’une autre, à la mise en marche de nouvelles stations de régénération et réutilisation de l’eau, ou encore à la potabilisation du fleuve du Besos. D’ici là, les Catalans continueront de scruter le ciel.
« Il faut changer ce modèle », fondé sur « l’importation de touristes et l’exportation de l’eau sous forme de fruits, de cochons et de fourrage », a demandé la porte-parole du Groupe de défense du Ter (fleuve), Dolors Catalan, le 21 janvier, lors d’une réunion organisée par une trentaine d’associations écologistes et sociales pour dénoncer la « mauvaise gestion » de l’eau, qui, « associée au changement climatique », est selon elles à l’origine de la sécheresse. Et de rappeler que selon l’indice d’exploitation de l’eau, 31 % de l’eau douce disponible de Catalogne est surexploitée, que 57 % des eaux souterraines sont contaminées aux nitrates à cause de l’agriculture et de l’élevage intensif (principalement de porcs), que le modèle économique basé sur le tourisme a supposé la venue de 16,9 millions de visiteurs internationaux en 2023 (+ 21 %), et que les usines de dessalement, qui devraient servir de béquilles en cas de sécheresse, sont devenues des sources structurelles d’approvisionnement en eau.
La Catalogne n’est pas la seule région en Espagne frappée par une sécheresse historique. Tout le territoire situé à l’est d’une diagonale reliant Figueras (Catalogne) à Cadix (Andalousie) se trouve dans une situation grave.
Sandrine Morel(Madrid, correspondante)