Séance 3
Pour ou contre le vote obligatoire ?
Capacités travaillées :
ACTIVITé
Document 1 : L’abstention et ses territoires.
Aux élections départementales des 22 et 29 mars prochains, attendez-vous à voir prendre le chemin des urnes des personnes plutôt âgées, au niveau d’éducation élevé ou issues de zones rurales. Les autres, pour beaucoup, resteront chez elles lors de ce scrutin qui s’annonce très peu mobilisateur.
On le sait, à part la présidentielle, toutes les élections suscitent, en France, une participation qui s’érode d’année en année. Alors que 80 % des inscrits étaient allés voter pour le premier tour de la présidentielle en 2012, 64 % se sont déplacés pour les municipales de 2014 et 42 % pour les européennes. En 2011, ils étaient 44 % à aller voter aux cantonales. Pourquoi ? « Nous avons souvent tendance à surestimer les motifs politiques de l’abstention, alors que la composante sociologique est également très forte », répond Vincent Pons, chercheur en sciences politiques et cofondateur de la société de conseil électoral Liegey Muller Pons, qui a essayé de décrypter les raisons de cette abstention. Pour mieux les expliquer, il s’est penché sur le département des Pyrénées-Orientales et sur son chef-lieu, Perpignan, ainsi que sur l’élection présidentielle et les élections européennes, ces dernières étant les plus semblables, en termes de participation, aux départementales. Le territoire choisi n’a, lui, rien de particulier. Mais il apporte des enseignements qui se vérifient à l’échelle de la France. |
Consigne :
A partir des documents, repère les arguments en faveur du vote obligatoire et classe-les afin de pouvoir ensuite débattre avec les autres élèves de la classe. A partir des documents, repère les arguments contre le vote obligatoire et classe-les afin de pouvoir ensuite débattre avec les autres élèves de la classe. |
Prisme sociologique
Le premier couple de cartes, représentant l’évolution de la participation entre 2012 et 2014 à l’échelle du département, permet tout d’abord de constater que plus la participation est faible, plus elle est disparate au sein du territoire. Sur la carte de 2012, les couleurs sont uniformes, ce qui témoigne de faibles variations de participation : à l’échelle nationale, celle-ci va de 64 % à 94 %, soit un écart maximal de 30 points entre les endroits où on vote le moins et ceux où on vote le plus. Aux européennes de 2014, en revanche, la participation varie de 34 % à 82 %, soit un écart de 50 points, ce qui se traduit par une plus grande mosaïque de couleurs sur la seconde carte.
Pour Vincent Pons, ces chutes de participation sont à analyser à travers un prisme politique mais aussi sociologique : « L’âge, les revenus ou le niveau d’éducation sont déterminants et ces facteurs jouent d’autant plus que l’intensité de l’élection et l’intérêt qu’elle suscite sont faibles et peu relayés médiatiquement. » D’après les données publiques qu’il a collectées, lorsque la participation est très faible, elle repose surtout sur les personnes âgées : « La participation augmente linéairement avec l’âge jusqu’à 70-75 ans, et cette corrélation se voit nettement pour les européennes, mais pas pour la présidentielle », note le chercheur, qui constate le même schéma avec le niveau d’éducation.
Marée haute et marée basse
Autre biais d’analyse : la typologie du territoire, selon qu’il s’agisse d’une ville, d’une banlieue ou d’une zone rurale. Là encore, les disparités sont d’autant plus grandes que l’abstention est forte, et ce sont les zones rurales qui résistent le mieux quand la participation s’effondre. « Au niveau national, lors de la présidentielle, il y avait une différence de seulement 4 points entre les zones rurales et urbaines. Aux européennes, la différence était de 9 points », précise M. Pons.
Viennent ensuite les explications politiques aux aléas de la participation, examinées avec un plus grand zoom, à l’échelle des bureaux de vote dans la commune de Perpignan. Les cartes exposant ces données sont assez claires : les zones foncées représentant les fortes chutes de participation sur l’une correspondent aux zones foncées représentant un fort recul de la gauche sur l’autre. C’est la « théorie de la marée haute/marée basse », pour reprendre l’expression de Vincent Pons. « A la présidentielle, celui qui gagne est celui qui a réussi à mobiliser plus d’électeurs dans son camp : c’est la marée haute. Puis, lors des élections intermédiaires suivantes, le parti arrivé au pouvoir subit un reflux, d’une part parce que les électeurs qu’il avait réussi à mobiliser exceptionnellement ne votent pas habituellement, et d’autre part parce que certains électeurs de son camp sont déçus : c’est la marée basse. »
Ce phénomène avait frappé Nicolas Sarkozy et l’UMP dès les municipales de 2008. Il a frappé François Hollande et le PS aux municipales et aux européennes de 2014. Une preuve de plus, s’il en fallait, que l’enjeu des départementales portera sur la mobilisation plus que sur la nécessité de convaincre.
Le premier couple de cartes, représentant l’évolution de la participation entre 2012 et 2014 à l’échelle du département, permet tout d’abord de constater que plus la participation est faible, plus elle est disparate au sein du territoire. Sur la carte de 2012, les couleurs sont uniformes, ce qui témoigne de faibles variations de participation : à l’échelle nationale, celle-ci va de 64 % à 94 %, soit un écart maximal de 30 points entre les endroits où on vote le moins et ceux où on vote le plus. Aux européennes de 2014, en revanche, la participation varie de 34 % à 82 %, soit un écart de 50 points, ce qui se traduit par une plus grande mosaïque de couleurs sur la seconde carte.
Pour Vincent Pons, ces chutes de participation sont à analyser à travers un prisme politique mais aussi sociologique : « L’âge, les revenus ou le niveau d’éducation sont déterminants et ces facteurs jouent d’autant plus que l’intensité de l’élection et l’intérêt qu’elle suscite sont faibles et peu relayés médiatiquement. » D’après les données publiques qu’il a collectées, lorsque la participation est très faible, elle repose surtout sur les personnes âgées : « La participation augmente linéairement avec l’âge jusqu’à 70-75 ans, et cette corrélation se voit nettement pour les européennes, mais pas pour la présidentielle », note le chercheur, qui constate le même schéma avec le niveau d’éducation.
Marée haute et marée basse
Autre biais d’analyse : la typologie du territoire, selon qu’il s’agisse d’une ville, d’une banlieue ou d’une zone rurale. Là encore, les disparités sont d’autant plus grandes que l’abstention est forte, et ce sont les zones rurales qui résistent le mieux quand la participation s’effondre. « Au niveau national, lors de la présidentielle, il y avait une différence de seulement 4 points entre les zones rurales et urbaines. Aux européennes, la différence était de 9 points », précise M. Pons.
Viennent ensuite les explications politiques aux aléas de la participation, examinées avec un plus grand zoom, à l’échelle des bureaux de vote dans la commune de Perpignan. Les cartes exposant ces données sont assez claires : les zones foncées représentant les fortes chutes de participation sur l’une correspondent aux zones foncées représentant un fort recul de la gauche sur l’autre. C’est la « théorie de la marée haute/marée basse », pour reprendre l’expression de Vincent Pons. « A la présidentielle, celui qui gagne est celui qui a réussi à mobiliser plus d’électeurs dans son camp : c’est la marée haute. Puis, lors des élections intermédiaires suivantes, le parti arrivé au pouvoir subit un reflux, d’une part parce que les électeurs qu’il avait réussi à mobiliser exceptionnellement ne votent pas habituellement, et d’autre part parce que certains électeurs de son camp sont déçus : c’est la marée basse. »
Ce phénomène avait frappé Nicolas Sarkozy et l’UMP dès les municipales de 2008. Il a frappé François Hollande et le PS aux municipales et aux européennes de 2014. Une preuve de plus, s’il en fallait, que l’enjeu des départementales portera sur la mobilisation plus que sur la nécessité de convaincre.
Hélène Bekmezian, Le Monde, 14.03.2015
Document 2 : affiche contre l’abstention, agences de communication contre l’abstention, 2012.
Document 3 : Claude Bartolone veut rendre le vote obligatoire, journal télévisé Grand soir 3, 16.04.2015.
Document 4 : Vote obligatoire : une mesure efficace ou pas ?
Claude Bartolone se prononce en faveur du vote obligatoire. Dans certains États, cette pratique est déjà en place. Pour quels résultats ?
Le président de l'Assemblée nationale souhaite que le vote devienne obligatoire "lors de toutes les élections" pour "irriguer la démocratie".
Le président de l'Assemblée nationale rend ce mercredi 5 avril un rapport au président de la République sur l'engagement républicain. Il souhaite que le vote devienne obligatoire "lors de toutes les élections" pour "irriguer la démocratie". Aux dernières élections départementales, environ la moitié des Français appelés aux urnes se sont déplacés. Seules les élections présidentielles connaissent encore un fort taux de participation avec près de 80 % de votants. À l'exception de ce grand rendez-vous, toutes les élections subissent une abstention conséquente et en hausse.
L'objectif avoué est de lutter contre ce phénomène. Environ 30 pays à travers le monde ont déjà instauré cette pratique pour lutter contre l'abstention et parfois depuis très longtemps. À première vue, les taux de participation y sont souvent élevés, mais aussi en fonction des sanctions encourues pour les récalcitrants. Tour d'horizon.
Belgique
Depuis 1893, le vote est obligatoire en Belgique sous peine de sanctions. L'article 62 de la Constitution belge dispose que "le vote est obligatoire et secret". Sans excuse valable, l'amende est de 27,50 à 55 euros pour la première fois et de 137,50 euros en cas de récidive. Mais la sanction ne s'arrête pas là. Si le citoyen s'abstient quatre fois en quinze ans, il peut être rayé des listes électorales pour dix ans. En outre, il ne peut pas recevoir de nomination, de promotion ni de distinction de la part d'une autorité publique. Les sanctions sont peu appliquées en raison de l'encombrement des tribunaux. mais cela n'empêche pas la participation de frôler les 90 % lors des élections, des scores exceptionnels pour une démocratie contemporaine.
Luxembourg
Plusieurs lois régissaient les différents scrutins depuis 1924. Le système a été simplifié en 2003. Les sanctions prévues sont loin d'être symboliques. Pour une première abstention, l'amende est de 100 à 250 euros et de 500 à 1 000 euros pour une récidive dans les 5 ans. Lors des dernières élections législatives de 2013, la participation s'est élevée à près de 91 %.
Grèce
Malgré l'obligation en vigueur en Grèce, en janvier 2015, 63 % des électeurs seulement se sont déplacés aux élections législatives pour porter Syriza au pouvoir. Il faut dire qu'aucune amende n'est prévue en cas de manquement à son devoir citoyen.
Australie
Depuis 1924, le vote est obligatoire en Australie. L'amende prévue est très faible, mais est appliquée. L'Australie a divisé par cinq l'abstention depuis lors. Lors des dernières élections fédérales, la participation dépassait 93 %.
Brésil
Le vote est obligatoire de 18 à 70 ans. La participation s'est établie à près de 80 % à l'élection présidentielle de 2014 qui a vu l'élection de Dilma Rousseff. Les sanctions sont très sévères. Si les Brésiliens ne justifient pas leur absence aux urnes, ils ne peuvent plus obtenir un passeport ou une carte d'identité, percevoir un salaire d'une administration publique, participer à un concours ou un examen public ou administratif, obtenir un prêt financier auprès d'une des banques officielles.
Les contre-exemples
À l'inverse d'autres pays ont supprimé cette obligation : comme les Pays-Bas en 1970. Même si le taux de participation a diminué, il est resté très élevé avec près de 75 % de participation aux élections législatives de 2012. En 1967, la participation montait jusqu'à 95 %. De même l'Italie a levé l'obligation en 1993. Le même phénomène est à observer. Aux élections générales de 1992, la participation s'établissait à 86 %. Aux dernières élections de 2013, elle était de 75 %.
Claude Bartolone reste évasif dans son rapport sur la question des sanctions. Interrogé par BFM TV à ce sujet, le président de l'Assemblée a répondu que, si "le président de la République [retenait] cette proposition, nous [irions] plus loin dans l'étude qui est indispensable pour voir dans quelle condition ça pourrait être mis en pratique".
Le président de l'Assemblée nationale souhaite que le vote devienne obligatoire "lors de toutes les élections" pour "irriguer la démocratie".
Le président de l'Assemblée nationale rend ce mercredi 5 avril un rapport au président de la République sur l'engagement républicain. Il souhaite que le vote devienne obligatoire "lors de toutes les élections" pour "irriguer la démocratie". Aux dernières élections départementales, environ la moitié des Français appelés aux urnes se sont déplacés. Seules les élections présidentielles connaissent encore un fort taux de participation avec près de 80 % de votants. À l'exception de ce grand rendez-vous, toutes les élections subissent une abstention conséquente et en hausse.
L'objectif avoué est de lutter contre ce phénomène. Environ 30 pays à travers le monde ont déjà instauré cette pratique pour lutter contre l'abstention et parfois depuis très longtemps. À première vue, les taux de participation y sont souvent élevés, mais aussi en fonction des sanctions encourues pour les récalcitrants. Tour d'horizon.
Belgique
Depuis 1893, le vote est obligatoire en Belgique sous peine de sanctions. L'article 62 de la Constitution belge dispose que "le vote est obligatoire et secret". Sans excuse valable, l'amende est de 27,50 à 55 euros pour la première fois et de 137,50 euros en cas de récidive. Mais la sanction ne s'arrête pas là. Si le citoyen s'abstient quatre fois en quinze ans, il peut être rayé des listes électorales pour dix ans. En outre, il ne peut pas recevoir de nomination, de promotion ni de distinction de la part d'une autorité publique. Les sanctions sont peu appliquées en raison de l'encombrement des tribunaux. mais cela n'empêche pas la participation de frôler les 90 % lors des élections, des scores exceptionnels pour une démocratie contemporaine.
Luxembourg
Plusieurs lois régissaient les différents scrutins depuis 1924. Le système a été simplifié en 2003. Les sanctions prévues sont loin d'être symboliques. Pour une première abstention, l'amende est de 100 à 250 euros et de 500 à 1 000 euros pour une récidive dans les 5 ans. Lors des dernières élections législatives de 2013, la participation s'est élevée à près de 91 %.
Grèce
Malgré l'obligation en vigueur en Grèce, en janvier 2015, 63 % des électeurs seulement se sont déplacés aux élections législatives pour porter Syriza au pouvoir. Il faut dire qu'aucune amende n'est prévue en cas de manquement à son devoir citoyen.
Australie
Depuis 1924, le vote est obligatoire en Australie. L'amende prévue est très faible, mais est appliquée. L'Australie a divisé par cinq l'abstention depuis lors. Lors des dernières élections fédérales, la participation dépassait 93 %.
Brésil
Le vote est obligatoire de 18 à 70 ans. La participation s'est établie à près de 80 % à l'élection présidentielle de 2014 qui a vu l'élection de Dilma Rousseff. Les sanctions sont très sévères. Si les Brésiliens ne justifient pas leur absence aux urnes, ils ne peuvent plus obtenir un passeport ou une carte d'identité, percevoir un salaire d'une administration publique, participer à un concours ou un examen public ou administratif, obtenir un prêt financier auprès d'une des banques officielles.
Les contre-exemples
À l'inverse d'autres pays ont supprimé cette obligation : comme les Pays-Bas en 1970. Même si le taux de participation a diminué, il est resté très élevé avec près de 75 % de participation aux élections législatives de 2012. En 1967, la participation montait jusqu'à 95 %. De même l'Italie a levé l'obligation en 1993. Le même phénomène est à observer. Aux élections générales de 1992, la participation s'établissait à 86 %. Aux dernières élections de 2013, elle était de 75 %.
Claude Bartolone reste évasif dans son rapport sur la question des sanctions. Interrogé par BFM TV à ce sujet, le président de l'Assemblée a répondu que, si "le président de la République [retenait] cette proposition, nous [irions] plus loin dans l'étude qui est indispensable pour voir dans quelle condition ça pourrait être mis en pratique".
Par Antoine Matta, Le Point.fr, 15/04/2015
Document 5 : Le vote obligatoire changerait-il quelque chose ?
En France, de fait, le vote obligatoire ne s'applique que pour les élections sénatoriales : les grands électeurs qui s'abstiennent sans raison valable étant condamnés au paiement d'une amende de 100 euros par le tribunal de grande instance, selon l'article 318 du code électoral.
Une exception, car selon l'approche française, le vote est un droit : depuis l'adoption – sans remise en cause ultérieure – du suffrage universel masculin en 1848, complété par celui des femmes en 1944, tout citoyen jouissant de ses droits civiques est libre de participer à un scrutin comme de s'abstenir d'aller voter.
Sauf que la montée continue du taux d'abstention (56 % aux dernières européennes, 38 % aux municipales, 43 % lors des législatives de 2012), qui montre qu'une part grandissante de l'électorat rejette l'offre politique en refusant de se déplacer à un bureau de vote, fait régulièrement revenir la question de la reconnaissance du vote blanc comme celle du vote obligatoire.
Principaux arguments des promoteurs de ce dernier : les candidats, les partis, les leaders auraient aujourd'hui le souci de répondre aux demandes de l'électorat réel, bien plus qu'aux demandes de ceux qui ne votent pas. En clair, si tout le monde votait, les programmes politiques s'en trouveraient infléchis pour répondre aux souhaits du plus grand nombre, et les élus – aujourd'hui majoritairement des hommes d'un niveau social favorisé – plus représentatifs de leur électorat.
Si la prise en compte du vote blanc a été appliquée aux dernières élections européennes à travers la loi du 21 février 2014, aucun projet de loi sur le vote obligatoire n'a franchi l'étape de la commission des lois.
Plusieurs parlementaires, de gauche comme de droite, ont déposé des propositions de loi visant à rendre le vote obligatoire depuis une décennie, la dernière soutenue par un groupe de 10 sénateurs socialistes, centristes et UMP – dont l'ancien président du Sénat Christian Poncelet. Qui citait déjà en exemple l'expérience de la Belgique ou de l'Australie – parmi la dizaine de pays chez qui voter est un devoir.
En Belgique, le vote est un devoir
La Belgique est l'exemple le plus ancien, l'obligation de voter y ayant été mise en place en 1893. Au dernier scrutin européen, 89,64 % des Belges se sont déplacés aux urnes. Vitalité démocratique ou peur du bâton ?
Selon le code électoral, tout citoyen belge doit s'inscrire sur les listes électorales, et tout électeur s'abstenant de se rendre aux urnes est passible d'une amende de 30 à 60 euros la première fois ; jusqu'à 150 euros si récidive.
Et la loi ne se contente pas de frapper l'abstentionniste au porte-monnaie, puisqu'elle peut priver de vote pendant dix ans toute personne qui aurait négligé l'obligation de se rendre aux urnes à quatre reprises sur une période de quinze ans. L'abstentionniste ne peut recevoir pendant ce laps de temps ni nomination, ni promotion, ni distinction émanant d'une autorité publique.
Entre les récalcitrants et les personnes ayant motivé leur non-vote pour des raisons médicales ou professionnelles, le taux d'abstention moyen en Belgique se situe autour 10 %.
Mais qu'en serait-il, si, comme en France, l'électeur était libre de s'abstenir ? Selon une enquête du Baromètre social de la Wallonie, en 2013, seuls 60 % des électeurs Wallons se seraient déplacés à coup sûr lors d'élections communales, contre 53 % pour des élections fédérales, 51 % pour des régionales et 47 % pour des européennes si le vote n'avait pas été obligatoire. Des chiffres globalement stables par rapport à une précédente étude en 2007.
La crainte de voir le taux de participation chuter lourdement semble paralyser les tentatives de réforme menées par les opposants au vote obligatoire en Belgique.
En Australie, 93 % de participation
En Australie aussi, le trésor public se charge de demander des comptes aux abstentionnistes. Pris en défaut, l'électeur réfractaire devra justifier son absence dans l'isoloir et pourra recevoir une amende allant jusqu'à 100 dollars (71 euros), voire, dans des cas extrêmement rares, une peine de prison.
Instaurée en 1924, l'obligation de voter permet aujourd'hui au pays d'afficher des taux de participation records : 93,28 % aux dernières législatives de 2013. Mais une minorité résiste : nombre d'électeurs australiens potentiels échappent à leur devoir... en faisant les morts. En effet, l'absence sur les listes électorales n'est plus sanctionnée par une amende.
Ainsi à l'occasion du centenaire de l'inscription obligatoire sur les listes électorales, en 2012, le site de la commission électorale australienne révélait que quelque 1,5 million d'Australiens éligibles manquaient à l'appel sur les listes électorales (pour 13 millions de votants en 2013).
Mais la contestation s'intensifie. Certains activistes vont jusqu'à refuser de payer leur amende, refusant que la démocratie participative se résume à une contrainte.
Autre critique, celle qui émane des petits partis, qui craignent que le vote obligatoire ne pousse vers les partis de premier plan des électeurs en manque de connaissances et d'intérêt pour la politique.
Reste que plus de 70 % des Australiens se disent attachés au vote obligatoire, quel que soit leur milieu social. Un chiffre qui n'a pas baissé depuis plus de quarante ans.
En France, l'institut de sondage IFOP a interrogé, pour Valeurs actuelles, ceux qui s'apprêtaient à s'abstenir aux élections européennes du 25 mai 2014. En cas de vote obligatoire, les abstentionnistes auraient voté... comme ceux qui ont voté, le FN faisant la course en tête, devant l'UMP et le PS.
Une exception, car selon l'approche française, le vote est un droit : depuis l'adoption – sans remise en cause ultérieure – du suffrage universel masculin en 1848, complété par celui des femmes en 1944, tout citoyen jouissant de ses droits civiques est libre de participer à un scrutin comme de s'abstenir d'aller voter.
Sauf que la montée continue du taux d'abstention (56 % aux dernières européennes, 38 % aux municipales, 43 % lors des législatives de 2012), qui montre qu'une part grandissante de l'électorat rejette l'offre politique en refusant de se déplacer à un bureau de vote, fait régulièrement revenir la question de la reconnaissance du vote blanc comme celle du vote obligatoire.
Principaux arguments des promoteurs de ce dernier : les candidats, les partis, les leaders auraient aujourd'hui le souci de répondre aux demandes de l'électorat réel, bien plus qu'aux demandes de ceux qui ne votent pas. En clair, si tout le monde votait, les programmes politiques s'en trouveraient infléchis pour répondre aux souhaits du plus grand nombre, et les élus – aujourd'hui majoritairement des hommes d'un niveau social favorisé – plus représentatifs de leur électorat.
Si la prise en compte du vote blanc a été appliquée aux dernières élections européennes à travers la loi du 21 février 2014, aucun projet de loi sur le vote obligatoire n'a franchi l'étape de la commission des lois.
Plusieurs parlementaires, de gauche comme de droite, ont déposé des propositions de loi visant à rendre le vote obligatoire depuis une décennie, la dernière soutenue par un groupe de 10 sénateurs socialistes, centristes et UMP – dont l'ancien président du Sénat Christian Poncelet. Qui citait déjà en exemple l'expérience de la Belgique ou de l'Australie – parmi la dizaine de pays chez qui voter est un devoir.
En Belgique, le vote est un devoir
La Belgique est l'exemple le plus ancien, l'obligation de voter y ayant été mise en place en 1893. Au dernier scrutin européen, 89,64 % des Belges se sont déplacés aux urnes. Vitalité démocratique ou peur du bâton ?
Selon le code électoral, tout citoyen belge doit s'inscrire sur les listes électorales, et tout électeur s'abstenant de se rendre aux urnes est passible d'une amende de 30 à 60 euros la première fois ; jusqu'à 150 euros si récidive.
Et la loi ne se contente pas de frapper l'abstentionniste au porte-monnaie, puisqu'elle peut priver de vote pendant dix ans toute personne qui aurait négligé l'obligation de se rendre aux urnes à quatre reprises sur une période de quinze ans. L'abstentionniste ne peut recevoir pendant ce laps de temps ni nomination, ni promotion, ni distinction émanant d'une autorité publique.
Entre les récalcitrants et les personnes ayant motivé leur non-vote pour des raisons médicales ou professionnelles, le taux d'abstention moyen en Belgique se situe autour 10 %.
Mais qu'en serait-il, si, comme en France, l'électeur était libre de s'abstenir ? Selon une enquête du Baromètre social de la Wallonie, en 2013, seuls 60 % des électeurs Wallons se seraient déplacés à coup sûr lors d'élections communales, contre 53 % pour des élections fédérales, 51 % pour des régionales et 47 % pour des européennes si le vote n'avait pas été obligatoire. Des chiffres globalement stables par rapport à une précédente étude en 2007.
La crainte de voir le taux de participation chuter lourdement semble paralyser les tentatives de réforme menées par les opposants au vote obligatoire en Belgique.
En Australie, 93 % de participation
En Australie aussi, le trésor public se charge de demander des comptes aux abstentionnistes. Pris en défaut, l'électeur réfractaire devra justifier son absence dans l'isoloir et pourra recevoir une amende allant jusqu'à 100 dollars (71 euros), voire, dans des cas extrêmement rares, une peine de prison.
Instaurée en 1924, l'obligation de voter permet aujourd'hui au pays d'afficher des taux de participation records : 93,28 % aux dernières législatives de 2013. Mais une minorité résiste : nombre d'électeurs australiens potentiels échappent à leur devoir... en faisant les morts. En effet, l'absence sur les listes électorales n'est plus sanctionnée par une amende.
Ainsi à l'occasion du centenaire de l'inscription obligatoire sur les listes électorales, en 2012, le site de la commission électorale australienne révélait que quelque 1,5 million d'Australiens éligibles manquaient à l'appel sur les listes électorales (pour 13 millions de votants en 2013).
Mais la contestation s'intensifie. Certains activistes vont jusqu'à refuser de payer leur amende, refusant que la démocratie participative se résume à une contrainte.
Autre critique, celle qui émane des petits partis, qui craignent que le vote obligatoire ne pousse vers les partis de premier plan des électeurs en manque de connaissances et d'intérêt pour la politique.
Reste que plus de 70 % des Australiens se disent attachés au vote obligatoire, quel que soit leur milieu social. Un chiffre qui n'a pas baissé depuis plus de quarante ans.
En France, l'institut de sondage IFOP a interrogé, pour Valeurs actuelles, ceux qui s'apprêtaient à s'abstenir aux élections européennes du 25 mai 2014. En cas de vote obligatoire, les abstentionnistes auraient voté... comme ceux qui ont voté, le FN faisant la course en tête, devant l'UMP et le PS.
Madjid Zerrouky, Le Monde.fr, 06.03.2015
Document 6 : deux tribunes sur le vote obligatoire.
Vive le vote obligatoire !
L'abstention témoigne toujours des carences et des limites de la démocratie. Elle est d'autant plus préoccupante, en France, qu'elle s'accroît de manière soutenue. Pour les élections européennes, son taux est passé en trente ans de 39 % à 59 %. Pour les législatives, en vingt ans, elle a augmenté de 20 points. Les enquêtes le disent bien : ce sont surtout les plus défavorisés qui s'abstiennent. Ils ne votent pas parce qu'ils n'attendent rien de la politique. Ils pensent que les acteurs politiques ne s'intéressent pas à eux ; et les politiques s'intéressent peu à eux parce qu'ils savent qu'ils ne votent pas. Il faut sortir de ce cercle vicieux.
Jusqu'en 1848, en France, le suffrage était censitaire. Seuls votaient ceux qui avaient du bien. Rien de tel aujourd'hui. En principe, tous les citoyens peuvent voter. Mais en réalité, tous ne votent pas. Et puisque ce sont les plus démunis socialement qui s'abstiennent, il faut bien admettre que notre République relève d'un universalisme abstrait, qui promet l'égalité civique, mais laisse concrètement toute sa place à un suffrage qui demeure censitaire, non pas de jure, mais de facto.
Une telle béance démocratique pèse lourdement sur la vie politique : les candidats, les partis, les leaders ont le souci de répondre aux demandes de l'électorat réel, bien plus qu'à celles de ceux qui ne votent pas. C'est ainsi que le gaullisme social a été balayé par la droite bling bling, amie des milliardaires. Que le Parti communiste est plus faible que jamais, ou que le Parti socialiste est parfois tenté de se recentrer, en visant non les plus défavorisés, mais en priorité les couches moyennes culturellement actives.
L'abstention électorale va de pair avec la déshérence de la question sociale, ce n'est pas un phénomène neutre, qui se répartirait uniformément dans toute la société. Elle contribue très largement au déficit en matière de politiques sociales. Si le peuple dans son ensemble s'exprimait davantage, si les plus pauvres votaient en masse, les programmes politiques s'en trouveraient sans doute infléchis en un sens plus social. En tout cas, ils gagneraient en légitimité, quels qu'ils soient. C'est l'inverse que nous observons : aujourd'hui, la sphère politique classique est discréditée, ce qui nourrit les extrêmes et le populisme. Reflux des politiques sociales, montée de l'extrême-droite, démission des politiques au profit des experts financiers et technocratiques : voilà des maux qui caractérisent notre temps et que l'abstention vient exacerber. Avec la crise, ces phénomènes se trouvent évidemment renforcés.
Surreprésentés parmi les populations défavorisées, en plus d'être la cible privilégiée du racisme et des discriminations, les Noirs de France sont doublement concernés par cette déréliction sociale et citoyenne. Mais ils ne sont pas les seuls, le problème concerne les jeunes de banlieue, dont on ne parle que sur un mode négatif, ceux du monde rural, dont on ne parle jamais, les ouvriers, qui ont comme disparu de nos médias et de notre imaginaire collectif, les personnes âgées, trop souvent isolées, etc. Au bout du compte, la question concerne tous les Français qui croient encore à la démocratie et à l'égalité. N'y a-t-il pas d'autre choix, pour les moins favorisés, qu'entre le silence, la violence ou le vote Front national ?
Il est temps d'enrayer cette déliquescence de la démocratie. Une mesure simple, même si elle ne prétend évidemment pas résoudre tous les maux, pourrait mettre fin à l'abstention : le vote obligatoire.
Le concept n'est pas nouveau. Sa première application remonte à 1862. Il est pratiqué dans plusieurs pays, au Brésil, en Bolivie, en Australie, par exemple et, en Europe, chez nos voisins, en Italie, en Grèce, en Belgique. Par ailleurs, il a déjà fait l'objet de propositions de loi qui sont restées sans suite. Et on l'ignore souvent, mais il existe aussi en France… pour les sénatoriales. N'est-il pas amusant que le vote obligatoire ait été institué dans notre pays uniquement pour l'élection la plus "élitiste", celle à laquelle les citoyens ne participent pas directement ? La loi oblige les "grands" électeurs à voter pour les sénatoriales, ne pourrait-elle obliger les "petits" électeurs, eux aussi, à voter pour les autres élections ? Depuis peu, l'inscription sur les listes électorales est une obligation. Il faut aller plus loin : le vote, lui aussi, doit devenir une obligation.
Evidemment, nous entendons d'ici les objections : le droit de vote est une liberté, dont on peut user, ou non. Pourquoi transformer la liberté en contrainte ? N'avons-nous pas assez d'obligations tous les jours, sans en ajouter une de plus ? Nous répondons ici : le vote est un droit, c'est aussi un devoir. Y renoncer, se résigner à l'abstention et, actuellement, à sa montée, c'est contribuer à une régression. Par ailleurs, l'obligation n'est pas forcément contraire à la liberté. Depuis les débuts de la Troisième République en France, l'école est obligatoire. Est-ce un obstacle à la liberté ? Non, bien au contraire, cette obligation permet de former les enfants et d'en faire des citoyens responsables. L'école contribue à la formation du citoyen, elle est obligatoire. Pourquoi le vote, qui constitue l'expression du citoyen, ne pourrait-il l'être lui aussi ? Bref, le vote obligatoire, c'est comme l'école obligatoire : c'est la République.
S'y opposer, c'est rester prisonnier d'une vision libérale qui se contente d'une citoyenneté formelle où tous les citoyens sont officiellement égaux devant le droit de vote. Mais il ne suffit pas d'inscrire un principe dans la loi pour qu'il devienne une réalité. Si nous souhaitons que le peuple, dans son ensemble, retrouve le chemin des urnes et, de là, puisse peser démocratiquement sur les politiques sociales, si nous souhaitons passer des droits civiques théoriques à la citoyenne réelle, nous devons mettre en place le vote obligatoire.
En même temps que l'on fera du vote une obligation, il convient que les autorités prennent les mesures pour en faciliter l'exercice, par exemple en favorisant le vote par procuration ou par Internet, pour toutes les personnes empêchées, en situation de handicap, en déplacement fréquent, etc. En rouvrant ce débat, qui pourrait être l'occasion de faire œuvre de pédagogie, nous rouvrons en même temps celui sur la prise en compte du vote blanc, car si les citoyens prennent la décision de s'exprimer de cette façon, il faut que leur choix soit comptabilisé, et non pas laissé de côté ou confondu avec les votes nuls.
Qui dit obligation dit sanctions. Selon nous, celles-ci doivent être légères, raisonnables et pédagogiques. Nous excluons les pénalités financières, qui reviendraient à tenter de faire payer les plus pauvres – une fois de plus –, et les pénalités civiques, qui retirent des droits, au lieu d'en octroyer davantage. S'il faut des sanctions, leur forme reste à définir, ce qui appelle réflexion et débat.
La gauche promet depuis trente ans le droit de vote aux élections locales pour les étrangers et semble décidée à le mettre en place si elle parvient à remporter les prochaines élections : il faut souhaiter aussi que le principe du vote obligatoire soit rapidement adopté et se transcrive dans de meilleurs délais en une réalité concrète.
L'abstention témoigne toujours des carences et des limites de la démocratie. Elle est d'autant plus préoccupante, en France, qu'elle s'accroît de manière soutenue. Pour les élections européennes, son taux est passé en trente ans de 39 % à 59 %. Pour les législatives, en vingt ans, elle a augmenté de 20 points. Les enquêtes le disent bien : ce sont surtout les plus défavorisés qui s'abstiennent. Ils ne votent pas parce qu'ils n'attendent rien de la politique. Ils pensent que les acteurs politiques ne s'intéressent pas à eux ; et les politiques s'intéressent peu à eux parce qu'ils savent qu'ils ne votent pas. Il faut sortir de ce cercle vicieux.
Jusqu'en 1848, en France, le suffrage était censitaire. Seuls votaient ceux qui avaient du bien. Rien de tel aujourd'hui. En principe, tous les citoyens peuvent voter. Mais en réalité, tous ne votent pas. Et puisque ce sont les plus démunis socialement qui s'abstiennent, il faut bien admettre que notre République relève d'un universalisme abstrait, qui promet l'égalité civique, mais laisse concrètement toute sa place à un suffrage qui demeure censitaire, non pas de jure, mais de facto.
Une telle béance démocratique pèse lourdement sur la vie politique : les candidats, les partis, les leaders ont le souci de répondre aux demandes de l'électorat réel, bien plus qu'à celles de ceux qui ne votent pas. C'est ainsi que le gaullisme social a été balayé par la droite bling bling, amie des milliardaires. Que le Parti communiste est plus faible que jamais, ou que le Parti socialiste est parfois tenté de se recentrer, en visant non les plus défavorisés, mais en priorité les couches moyennes culturellement actives.
L'abstention électorale va de pair avec la déshérence de la question sociale, ce n'est pas un phénomène neutre, qui se répartirait uniformément dans toute la société. Elle contribue très largement au déficit en matière de politiques sociales. Si le peuple dans son ensemble s'exprimait davantage, si les plus pauvres votaient en masse, les programmes politiques s'en trouveraient sans doute infléchis en un sens plus social. En tout cas, ils gagneraient en légitimité, quels qu'ils soient. C'est l'inverse que nous observons : aujourd'hui, la sphère politique classique est discréditée, ce qui nourrit les extrêmes et le populisme. Reflux des politiques sociales, montée de l'extrême-droite, démission des politiques au profit des experts financiers et technocratiques : voilà des maux qui caractérisent notre temps et que l'abstention vient exacerber. Avec la crise, ces phénomènes se trouvent évidemment renforcés.
Surreprésentés parmi les populations défavorisées, en plus d'être la cible privilégiée du racisme et des discriminations, les Noirs de France sont doublement concernés par cette déréliction sociale et citoyenne. Mais ils ne sont pas les seuls, le problème concerne les jeunes de banlieue, dont on ne parle que sur un mode négatif, ceux du monde rural, dont on ne parle jamais, les ouvriers, qui ont comme disparu de nos médias et de notre imaginaire collectif, les personnes âgées, trop souvent isolées, etc. Au bout du compte, la question concerne tous les Français qui croient encore à la démocratie et à l'égalité. N'y a-t-il pas d'autre choix, pour les moins favorisés, qu'entre le silence, la violence ou le vote Front national ?
Il est temps d'enrayer cette déliquescence de la démocratie. Une mesure simple, même si elle ne prétend évidemment pas résoudre tous les maux, pourrait mettre fin à l'abstention : le vote obligatoire.
Le concept n'est pas nouveau. Sa première application remonte à 1862. Il est pratiqué dans plusieurs pays, au Brésil, en Bolivie, en Australie, par exemple et, en Europe, chez nos voisins, en Italie, en Grèce, en Belgique. Par ailleurs, il a déjà fait l'objet de propositions de loi qui sont restées sans suite. Et on l'ignore souvent, mais il existe aussi en France… pour les sénatoriales. N'est-il pas amusant que le vote obligatoire ait été institué dans notre pays uniquement pour l'élection la plus "élitiste", celle à laquelle les citoyens ne participent pas directement ? La loi oblige les "grands" électeurs à voter pour les sénatoriales, ne pourrait-elle obliger les "petits" électeurs, eux aussi, à voter pour les autres élections ? Depuis peu, l'inscription sur les listes électorales est une obligation. Il faut aller plus loin : le vote, lui aussi, doit devenir une obligation.
Evidemment, nous entendons d'ici les objections : le droit de vote est une liberté, dont on peut user, ou non. Pourquoi transformer la liberté en contrainte ? N'avons-nous pas assez d'obligations tous les jours, sans en ajouter une de plus ? Nous répondons ici : le vote est un droit, c'est aussi un devoir. Y renoncer, se résigner à l'abstention et, actuellement, à sa montée, c'est contribuer à une régression. Par ailleurs, l'obligation n'est pas forcément contraire à la liberté. Depuis les débuts de la Troisième République en France, l'école est obligatoire. Est-ce un obstacle à la liberté ? Non, bien au contraire, cette obligation permet de former les enfants et d'en faire des citoyens responsables. L'école contribue à la formation du citoyen, elle est obligatoire. Pourquoi le vote, qui constitue l'expression du citoyen, ne pourrait-il l'être lui aussi ? Bref, le vote obligatoire, c'est comme l'école obligatoire : c'est la République.
S'y opposer, c'est rester prisonnier d'une vision libérale qui se contente d'une citoyenneté formelle où tous les citoyens sont officiellement égaux devant le droit de vote. Mais il ne suffit pas d'inscrire un principe dans la loi pour qu'il devienne une réalité. Si nous souhaitons que le peuple, dans son ensemble, retrouve le chemin des urnes et, de là, puisse peser démocratiquement sur les politiques sociales, si nous souhaitons passer des droits civiques théoriques à la citoyenne réelle, nous devons mettre en place le vote obligatoire.
En même temps que l'on fera du vote une obligation, il convient que les autorités prennent les mesures pour en faciliter l'exercice, par exemple en favorisant le vote par procuration ou par Internet, pour toutes les personnes empêchées, en situation de handicap, en déplacement fréquent, etc. En rouvrant ce débat, qui pourrait être l'occasion de faire œuvre de pédagogie, nous rouvrons en même temps celui sur la prise en compte du vote blanc, car si les citoyens prennent la décision de s'exprimer de cette façon, il faut que leur choix soit comptabilisé, et non pas laissé de côté ou confondu avec les votes nuls.
Qui dit obligation dit sanctions. Selon nous, celles-ci doivent être légères, raisonnables et pédagogiques. Nous excluons les pénalités financières, qui reviendraient à tenter de faire payer les plus pauvres – une fois de plus –, et les pénalités civiques, qui retirent des droits, au lieu d'en octroyer davantage. S'il faut des sanctions, leur forme reste à définir, ce qui appelle réflexion et débat.
La gauche promet depuis trente ans le droit de vote aux élections locales pour les étrangers et semble décidée à le mettre en place si elle parvient à remporter les prochaines élections : il faut souhaiter aussi que le principe du vote obligatoire soit rapidement adopté et se transcrive dans de meilleurs délais en une réalité concrète.
Louis-Georges Tin, président du CRAN,
et Michel Wieviorka, président du Conseil scientifique du CRAN, Le monde.fr, 14.12.2011
et Michel Wieviorka, président du Conseil scientifique du CRAN, Le monde.fr, 14.12.2011
Contre le vote obligatoire et la domestication de l’électeur
Pour "refonder le lien civique", le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, préconise l'instauration du vote obligatoire. Une fausse bonne idée selon l'universitaire Jérémie Moualek. Pour lui, vouloir "mettre les électeurs à marche forcée" relève d'une bien curieuse "conception de la démocratie".
Le rapport « Libérer l’engagement des Français et refonder le lien civique » présenté mercredi matin par Claude Bartolone (président de l’Assemblée nationale) à François Hollande préconise une idée supposée neuve : le vote obligatoire !
Déjà promu le 18 mars dernier par les écologistes dans le cadre d’une proposition de loi, le vote obligatoire est en réalité une vieille rengaine que les politiques aiment ressortir de temps à autre. Ainsi, pas moins de 53 propositions de loi visant à introduire le vote obligatoire ont été émises depuis la IIIe République, dont quatre depuis 2002 !
Dépassant ce qu’il semble rester du clivage gauche/droite, l’idée séduit ceux qui pensent qu’elle aurait des vertus civiques… En réalité, le vote obligatoire ne lutterait pas contre l’abstention, il la supprimerait ! Cela signifierait alors que le problème n’est pris que dans un sens, en incombant la responsabilité du manque de participation politique à l'électeur plutôt qu'aux gouvernants. Dès lors, s’intéresser davantage aux symptômes qu’aux causes pourrait mener à la production d’un faux remède à la crise de légitimité des élus (dont ils sont plus coupables que victimes) : un piètre placebo qui ne ferait pas longtemps illusion…
Et, c’est la conception même du rôle de l’électeur (et de l’élection) qui serait alors remise en question.
En effet, le vote obligatoire constituerait une forme d’achèvement de la domestication de l’électeur conduite depuis les prémisses du suffrage universel. L’uniformisation de l’acte de vote réalisée par ce qui constitue nos bureaux de vote aujourd’hui (isoloirs, urnes normalisées,…) et par la mise en place d’instruments (bulletins imprimés standardisés, touches sur les machines à voter) à la pauvreté expressive assumée (qui fait que plus une opinion est complexe, plus elle est « censurée ») fait déjà que le citoyen se doit de répondre positivement aux attendus normatifs qui pèsent sur lui au cas où il souhaite exprimer son opinion. L’ajout de l’obligation supplanterait même toutes ces dispositions et rendrait obsolète la carte d’électeur que nous connaissons et sur laquelle il est inscrit : « Voter est un droit, c’est aussi un devoir civique ». Le vote obligatoire changerait tout simplement le sens du vote : il en ferait un devoir bien davantage qu’un droit.
Enfin, certains se rassurent en espérant qu’ainsi le vote blanc (toujours pas comptabilisé dans les suffrages exprimés) pourra obtenir la (vraie) reconnaissance que les électeurs qui en usent méritent. Mais le vote blanc d’aujourd’hui ne serait pas celui de demain. Phénomène politique croissant depuis le début des années 1990, le vote blanc est « le droit de choisir de ne pas choisir » qui s’inscrit – dans le même temps – dans une volonté de ne pas renoncer à voter malgré la possibilité (pour ne pas dire « liberté ») donnée à l’électeur de le faire. L’obligation – là encore – changerait la signification (en mêlant des électeurs « volontaires » et des électeurs craignant de payer une amende s’ils n’effectuaient pas leur acte électoral) et donc la portée potentielle du vote blanc… Dès lors, le vote blanc de demain risquerait de devenir l'abstention d'aujourd'hui : une « masse » presque indéfinissable dont pourront se servir les élus pour décrédibiliser le pourcentage obtenu...
Destinée initialement à faire de l’individu un citoyen-électeur « libre », l’élection l’a finalement rendu libre d’être obligé de choisir (puisque le vote blanc n’a jamais été pris en compte), avant, en cas de vote obligatoire, de le rendre libre d’être obligé de… voter ! Sacrée conception de la démocratie que de mettre les électeurs à marche forcée !
Pour "refonder le lien civique", le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, préconise l'instauration du vote obligatoire. Une fausse bonne idée selon l'universitaire Jérémie Moualek. Pour lui, vouloir "mettre les électeurs à marche forcée" relève d'une bien curieuse "conception de la démocratie".
Le rapport « Libérer l’engagement des Français et refonder le lien civique » présenté mercredi matin par Claude Bartolone (président de l’Assemblée nationale) à François Hollande préconise une idée supposée neuve : le vote obligatoire !
Déjà promu le 18 mars dernier par les écologistes dans le cadre d’une proposition de loi, le vote obligatoire est en réalité une vieille rengaine que les politiques aiment ressortir de temps à autre. Ainsi, pas moins de 53 propositions de loi visant à introduire le vote obligatoire ont été émises depuis la IIIe République, dont quatre depuis 2002 !
Dépassant ce qu’il semble rester du clivage gauche/droite, l’idée séduit ceux qui pensent qu’elle aurait des vertus civiques… En réalité, le vote obligatoire ne lutterait pas contre l’abstention, il la supprimerait ! Cela signifierait alors que le problème n’est pris que dans un sens, en incombant la responsabilité du manque de participation politique à l'électeur plutôt qu'aux gouvernants. Dès lors, s’intéresser davantage aux symptômes qu’aux causes pourrait mener à la production d’un faux remède à la crise de légitimité des élus (dont ils sont plus coupables que victimes) : un piètre placebo qui ne ferait pas longtemps illusion…
Et, c’est la conception même du rôle de l’électeur (et de l’élection) qui serait alors remise en question.
En effet, le vote obligatoire constituerait une forme d’achèvement de la domestication de l’électeur conduite depuis les prémisses du suffrage universel. L’uniformisation de l’acte de vote réalisée par ce qui constitue nos bureaux de vote aujourd’hui (isoloirs, urnes normalisées,…) et par la mise en place d’instruments (bulletins imprimés standardisés, touches sur les machines à voter) à la pauvreté expressive assumée (qui fait que plus une opinion est complexe, plus elle est « censurée ») fait déjà que le citoyen se doit de répondre positivement aux attendus normatifs qui pèsent sur lui au cas où il souhaite exprimer son opinion. L’ajout de l’obligation supplanterait même toutes ces dispositions et rendrait obsolète la carte d’électeur que nous connaissons et sur laquelle il est inscrit : « Voter est un droit, c’est aussi un devoir civique ». Le vote obligatoire changerait tout simplement le sens du vote : il en ferait un devoir bien davantage qu’un droit.
Enfin, certains se rassurent en espérant qu’ainsi le vote blanc (toujours pas comptabilisé dans les suffrages exprimés) pourra obtenir la (vraie) reconnaissance que les électeurs qui en usent méritent. Mais le vote blanc d’aujourd’hui ne serait pas celui de demain. Phénomène politique croissant depuis le début des années 1990, le vote blanc est « le droit de choisir de ne pas choisir » qui s’inscrit – dans le même temps – dans une volonté de ne pas renoncer à voter malgré la possibilité (pour ne pas dire « liberté ») donnée à l’électeur de le faire. L’obligation – là encore – changerait la signification (en mêlant des électeurs « volontaires » et des électeurs craignant de payer une amende s’ils n’effectuaient pas leur acte électoral) et donc la portée potentielle du vote blanc… Dès lors, le vote blanc de demain risquerait de devenir l'abstention d'aujourd'hui : une « masse » presque indéfinissable dont pourront se servir les élus pour décrédibiliser le pourcentage obtenu...
Destinée initialement à faire de l’individu un citoyen-électeur « libre », l’élection l’a finalement rendu libre d’être obligé de choisir (puisque le vote blanc n’a jamais été pris en compte), avant, en cas de vote obligatoire, de le rendre libre d’être obligé de… voter ! Sacrée conception de la démocratie que de mettre les électeurs à marche forcée !
Jérémie Moualek, Marianne, 16 Avril 2015
Jérémie Moualek est chercheur en sociologie politique (Centre Pierre Naville – Université d’Evry).
Il poursuit actuellement une thèse sur le vote blanc et nul.
Jérémie Moualek est chercheur en sociologie politique (Centre Pierre Naville – Université d’Evry).
Il poursuit actuellement une thèse sur le vote blanc et nul.