Qu'est ce que l'Occident doit à l'Islam ?
Compétences travaillées
CONNAISSANCES :
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CAPACITES :
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ATTITUDES :
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Objectifs :
- Comprendre comment s'effectuent les transferts de connaissances entre le monde musulman et la chrétienté
- Analyser des documents
QUESTIONS :
►Procéder à l’analyse critique d’un document selon une approche historique
1. Présentez le document (nature, date, auteur, sens général du document)
►Conduire une démarche historique et la justifier
2. Quels sont les deux grands mouvements de traduction qui ont eu lieu dans la Méditerranée ?
3. Dans quel contexte ont lieu les transferts de connaissances ?
4. Qui sont les acteurs de ces deux mouvements de traductions ?
5. Quelles sont les domaines scientifiques qui mobilisent les traducteurs ? Pourquoi ?
6. Quelles sont les connaissances apportées par les Grecs aux Arabes ?
1. Présentez le document (nature, date, auteur, sens général du document)
►Conduire une démarche historique et la justifier
2. Quels sont les deux grands mouvements de traduction qui ont eu lieu dans la Méditerranée ?
3. Dans quel contexte ont lieu les transferts de connaissances ?
4. Qui sont les acteurs de ces deux mouvements de traductions ?
5. Quelles sont les domaines scientifiques qui mobilisent les traducteurs ? Pourquoi ?
6. Quelles sont les connaissances apportées par les Grecs aux Arabes ?
Document 1 :
Le monde méditerranéen, au Moyen Age, a connu deux grands mouvements de traduction scientifique : d'une part celui qui fait passer en langue arabe la science antique, grecque surtout, à Bagdad entre 750 et 950 ; et d'autre part celui qui livre la science gréco-arabe à l'Occident latin entre 1100 et 1300, pour l'essentiel en Espagne, puis en Sicile, voire dans les territoires byzantins occupés par les Latins(1) après la quatrième croisade 1204. A l'issue de cette croisade qui s'achève par le sac de Constantinople, les savants latins vont vérifier, sur des originaux grecs quand ils existent encore, la qualité des traductions que leurs prédécesseurs ont réalisées depuis l'arabe au siècle précédent en Espagne.
Ces deux mouvements massifs de transfert de culture ont duré à peu près deux siècles chacun. Dans les deux cas surtout, la science qu'on acquiert, ou qu'on reconquiert, est d'abord un butin, l'un des trophées de la victoire qu'on vient de remporter sur les Perses et Byzantins pour l'Islam du IXe siècle ; sur les Arabes pour les Latins du XIIe-XIIIe siècle. Dans un cas comme dans l'autre, les nouveaux sujets conquis chrétiens d'Orient à Bagdad, Juifs en Espagne participent activement à l'entreprise.
Une première différence cependant : dans le cas des traductions exécutées dans le monde arabe, le pouvoir politique joue le rôle décisif ; la dynastie abbasside qui s'empare du califat(2) en 749 et s'établit à Bagdad en 762 est à l'origine du mouvement qui ranime une activité scientifique largement engourdie dans le monde romain, puis byzantin, depuis le IIIe siècle. Entre 750 et 850, le califat et ses serviteurs les plus proches gardent l'initiative des traductions. Le calife Al-Mamun 813-833 aurait ainsi exigé des manuscrits scientifiques grecs parmi les conditions d'une trêve conclue avec les Byzantins. Entre 850 et 950, une fois assuré l'essor des sciences, les traductions sont poursuivies par un milieu bagdadien plus large de lettrés, d'amateurs et de savants, comme les frères Banu Musa, banquiers et mathématiciens. Le mouvement est à peu près inverse en Occident : au XIIe siècle, les commanditaires et protecteurs des traducteurs sont des clercs, hommes d'Église, comme l'archevêque Raymond de Tolède. Il faut attendre le XIIIe siècle pour que des souverains, l'empereur Frédéric II ou le roi Alphonse X de Castille, interviennent en commanditant des traductions (…).
Dans les deux phases de traduction, ce qu'on cherche d'abord, c'est l'astrologie, et d'abord l'horoscope des empires et des religions : ils font espérer l'accès à la connaissance du sens du monde, de sa durée avant son terme apocalyptique. Ils entraînent avec eux l'appareil astronomique et mathématique nécessaire à leur pratique. Du Grec Claude Ptolémée IIe siècle on traduit l'ouvrage astrologique - le Centiloquium - avant même l' Almageste , son grand oeuvre astronomique.
Ainsi, les sciences les plus abstraites - et par là même les mieux susceptibles de franchir l'épreuve de la traduction - sont largement privilégiées au détriment des sciences religieuses, et plus encore du droit ou de l’histoire (…).
Dans ce qui se traduit en Espagne ou en Sicile au XIIe-XIIIe siècle, que l'Islam nomme grec et que l'Occident du XIIe siècle accepte pour tel, tout n'est pas grec, loin de là. Ainsi, sont arabes la numération de position et le zéro venu d'Asie du Sud, semble-t-il, la trigonométrie, l'algèbre, l'optique - tant l'optique d'Ibn al-Haytham surpasse celle de ses prédécesseurs grecs -, les tables astronomiques, des appareils d'observation et de mesure, comme l'astrolabe(3), des opérations chirurgicales comme celles de la cataracte(4) ou de la maladie de la pierre(5), beaucoup des diagnostics de la médecine, comme l'hémophilie6, une bonne part de la pharmacopée(7) (…).
Il reste que les principes, les hypothèses scientifiques et philosophiques fondamentales sont en effet grecques pour l'essentiel : l'usage du syllogisme aristotélicien(8) dans les démonstrations les plus rigoureuses ; le géocentrisme(9), la notion d’épicycle, cercle décrit par la trajectoire d'un astre, tandis que le centre de ce cercle parcourt lui-même la circonférence d'un autre cercle ou de mouvement circulaire des planètes (…). Un corpus de connaissance qui restera la base des sciences jusqu'au XVIIe siècle (…).
Très au-delà, l'Islam du IXe-Xe siècle, par la position centrale qu'il occupe dans l'Ancien Monde, met en contact pour la première fois aussi concrètement l'univers iranien, l'Inde et le monde méditerranéen. Il en résulte à la fois une curiosité et une qualité de l'information sur les ethnies et les sectes, les croyances et les calendriers, les coutumes et les étrangetés du monde, toute une anthropologie pour le dire en termes savants, dont on ne trouvera pas l'équivalent en Europe avant l'époque moderne (…).
Ces deux mouvements massifs de transfert de culture ont duré à peu près deux siècles chacun. Dans les deux cas surtout, la science qu'on acquiert, ou qu'on reconquiert, est d'abord un butin, l'un des trophées de la victoire qu'on vient de remporter sur les Perses et Byzantins pour l'Islam du IXe siècle ; sur les Arabes pour les Latins du XIIe-XIIIe siècle. Dans un cas comme dans l'autre, les nouveaux sujets conquis chrétiens d'Orient à Bagdad, Juifs en Espagne participent activement à l'entreprise.
Une première différence cependant : dans le cas des traductions exécutées dans le monde arabe, le pouvoir politique joue le rôle décisif ; la dynastie abbasside qui s'empare du califat(2) en 749 et s'établit à Bagdad en 762 est à l'origine du mouvement qui ranime une activité scientifique largement engourdie dans le monde romain, puis byzantin, depuis le IIIe siècle. Entre 750 et 850, le califat et ses serviteurs les plus proches gardent l'initiative des traductions. Le calife Al-Mamun 813-833 aurait ainsi exigé des manuscrits scientifiques grecs parmi les conditions d'une trêve conclue avec les Byzantins. Entre 850 et 950, une fois assuré l'essor des sciences, les traductions sont poursuivies par un milieu bagdadien plus large de lettrés, d'amateurs et de savants, comme les frères Banu Musa, banquiers et mathématiciens. Le mouvement est à peu près inverse en Occident : au XIIe siècle, les commanditaires et protecteurs des traducteurs sont des clercs, hommes d'Église, comme l'archevêque Raymond de Tolède. Il faut attendre le XIIIe siècle pour que des souverains, l'empereur Frédéric II ou le roi Alphonse X de Castille, interviennent en commanditant des traductions (…).
Dans les deux phases de traduction, ce qu'on cherche d'abord, c'est l'astrologie, et d'abord l'horoscope des empires et des religions : ils font espérer l'accès à la connaissance du sens du monde, de sa durée avant son terme apocalyptique. Ils entraînent avec eux l'appareil astronomique et mathématique nécessaire à leur pratique. Du Grec Claude Ptolémée IIe siècle on traduit l'ouvrage astrologique - le Centiloquium - avant même l' Almageste , son grand oeuvre astronomique.
Ainsi, les sciences les plus abstraites - et par là même les mieux susceptibles de franchir l'épreuve de la traduction - sont largement privilégiées au détriment des sciences religieuses, et plus encore du droit ou de l’histoire (…).
Dans ce qui se traduit en Espagne ou en Sicile au XIIe-XIIIe siècle, que l'Islam nomme grec et que l'Occident du XIIe siècle accepte pour tel, tout n'est pas grec, loin de là. Ainsi, sont arabes la numération de position et le zéro venu d'Asie du Sud, semble-t-il, la trigonométrie, l'algèbre, l'optique - tant l'optique d'Ibn al-Haytham surpasse celle de ses prédécesseurs grecs -, les tables astronomiques, des appareils d'observation et de mesure, comme l'astrolabe(3), des opérations chirurgicales comme celles de la cataracte(4) ou de la maladie de la pierre(5), beaucoup des diagnostics de la médecine, comme l'hémophilie6, une bonne part de la pharmacopée(7) (…).
Il reste que les principes, les hypothèses scientifiques et philosophiques fondamentales sont en effet grecques pour l'essentiel : l'usage du syllogisme aristotélicien(8) dans les démonstrations les plus rigoureuses ; le géocentrisme(9), la notion d’épicycle, cercle décrit par la trajectoire d'un astre, tandis que le centre de ce cercle parcourt lui-même la circonférence d'un autre cercle ou de mouvement circulaire des planètes (…). Un corpus de connaissance qui restera la base des sciences jusqu'au XVIIe siècle (…).
Très au-delà, l'Islam du IXe-Xe siècle, par la position centrale qu'il occupe dans l'Ancien Monde, met en contact pour la première fois aussi concrètement l'univers iranien, l'Inde et le monde méditerranéen. Il en résulte à la fois une curiosité et une qualité de l'information sur les ethnies et les sectes, les croyances et les calendriers, les coutumes et les étrangetés du monde, toute une anthropologie pour le dire en termes savants, dont on ne trouvera pas l'équivalent en Europe avant l'époque moderne (…).
Gabriel Martinez-Gros(10), Ce que l'Occident doit à l’islam, L’Histoire, n°342, mai 2009
- Occidentaux
- Territoire soumis au calife, successeur de Mahomet.
- Instrument d’observation permettant de mesurer la hauteur des étoiles et de se repérer dans l’espace.
- Opération de l’oeil
- La maladie de pierre est une maladie entrainant une ossification progressive des muscles.
- Maladie du sang.
- Ensemble des médicaments.
- raisonnement logique mettant en relation 2 propositions pour finir par une conclusion.
- Le géocentrisme est un modèle physique ancien selon lequel la Terre se trouve immobile, au centre de l’univers.
- Gabriel Martinez-Gros est un historien, actuellement professeur d'histoire médiévale du monde musulman à l'Université de Paris-X