objectifs
- Rédiger une synthèse organisée sur un dossier documentaire
- Comprendre l'émergence de la mémoire juive
- Comprendre le rôle des historiens dans la reconnaissance de la mémoire juive.
Quels sont les enjeux mémoriels et politiques autour de la reconnaissance du génocide des Juifs ?
TEMPS 1 : Je teste mes connaissances
Activité
CONSIGNES :
Cela fait maintenant plus de 20 ans que le président de la République a reconnu la responsabilité de la France dans le génocide juif. C'est dans ce contexte que le journal Le Monde a décidé de faire un "grand angle" dans la rubrique "Les archives" du journal. Un "grand angle" regroupe des archives, des synthèses, des témoignages et généralement une chronologie.
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Stagiaires au journal, le rédacteur en chef Luc Bronner, se tourne vers vous pour vous confier la réalisation du "grand angle". Vous devez fournir une synthèse organisée dont le titre sera "Histoire et mémoire de la Shoah : une mémoire apaisée ?" ainsi qu'une chronologie. Par précaution, il confie ce travail à plusieurs groupes afin d'obtenir la meilleure production possible. A vous de briller !
Cependant, le rédacteur en chef est assez impatient, c'est pourquoi il vous laisse seulement deux heures, ne perdez pas de temps et soyez efficaces. Votre capacité d'organisation sera fondamentale pour la réussite. Pour vous aider, il vous laisse un dossier documentaire qui devrait normalement pour permettre de réaliser votre production. Néanmoins, si vous avez besoin de ressources supplémentaires, vous êtes libres. Pensez à citer toujours vos sources, le journal est un journal de référence et la source des documents est très importante. Vous pouvez illustrer votre synthèse.
Cependant, le rédacteur en chef est assez impatient, c'est pourquoi il vous laisse seulement deux heures, ne perdez pas de temps et soyez efficaces. Votre capacité d'organisation sera fondamentale pour la réussite. Pour vous aider, il vous laisse un dossier documentaire qui devrait normalement pour permettre de réaliser votre production. Néanmoins, si vous avez besoin de ressources supplémentaires, vous êtes libres. Pensez à citer toujours vos sources, le journal est un journal de référence et la source des documents est très importante. Vous pouvez illustrer votre synthèse.
Document 1 : un témoignage sur le retour après les camps.
Dès le retour des camps, nous avions [...] entendu des propos plus déplaisants encore qu'incongrus, des jugements à l'emporte-pièce, des analyses géopolitiques aussi péremptoires que creuses. Mais il n'y a pas que de tels propos que nous aurions voulu ne jamais entendre. Nous nous serions dispensés de certains regards fuyants qui nous rendaient transparents. Et puis, combien de fois ai-je entendu des gens s'étonner : « Comment, ils sont revenus ? Ça prouve bien que ce n'était pas si terrible que ça. » Quelques années plus tard, en 1950 ou 1951, lors d'une réception dans une ambassade, un fonctionnaire français de haut niveau, je dois le dire, pointant du doigt mon avant-bras et mon numéro de déportée, m'a demandé avec le sourire si c'était mon numéro de vestiaire ! Après cela pendant des années, j'ai privilégié les manches longues. [...]
Pendant longtemps [les déportés] ont dérangé. Beaucoup de nos compatriotes voulaient à tout prix oublier ce à quoi nous ne pouvions nous arracher ; ce qui, en nous, est gravé à vie. Nous souhaitions parler, et on ne voulait pas nous écouter. C'est ce que j'ai senti dès notre retour, à Milou (1) et à moi : personne ne s'intéressait à ce que nous avions vécu. En revanche Denise1, rentrée peu avant nous avec l'auréole de la Résistance, était invitée à faire des conférences. [...]
[Les résistants] sont dans la position des héros, leur combat les couvre d'une gloire qu'accroît encore l'emprisonnement dont ils l'ont payée ; ils avaient choisi leur destin. Mais nous, nous n'avions rien choisi. Nous étions des victimes honteuses, des animaux tatoués.
Pendant longtemps [les déportés] ont dérangé. Beaucoup de nos compatriotes voulaient à tout prix oublier ce à quoi nous ne pouvions nous arracher ; ce qui, en nous, est gravé à vie. Nous souhaitions parler, et on ne voulait pas nous écouter. C'est ce que j'ai senti dès notre retour, à Milou (1) et à moi : personne ne s'intéressait à ce que nous avions vécu. En revanche Denise1, rentrée peu avant nous avec l'auréole de la Résistance, était invitée à faire des conférences. [...]
[Les résistants] sont dans la position des héros, leur combat les couvre d'une gloire qu'accroît encore l'emprisonnement dont ils l'ont payée ; ils avaient choisi leur destin. Mais nous, nous n'avions rien choisi. Nous étions des victimes honteuses, des animaux tatoués.
Simone Veil, Une vie, Stock, 2007.
1. S. Veil parle de ses sœurs.
Document 2 : Une commémoration officielle : le devoir de mémoire.
a. Loi n° 54-415 du 14 avril 1954
Art. 2 - Le dernier dimanche d'avril devient « Journée nationale du souvenir des victimes et héros de la déportation ».
b. Décret n° 93-150 du 3 février 1993
Art. Ier - Il est institué une Journée nationale à la mémoire des victimes des persécutions racistes et antisémites commises sous l'autorité de fait dite « gouvernement de l'État français » (1940-1944). Cette journée est fixée au 16 juillet, date anniversaire de la rafle du vélodrome d'Hiver à Paris, si ce jour est un dimanche ; sinon, elle sera reportée au dimanche suivant.
c. Loi n° 2000-644 du 10 juillet 2000
Il est institué une Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'État français et d'hommage aux « Justes » de France qui ont recueilli, protégé ou défendu, au péril de leur propre vie et sans aucune contrepartie, une ou plusieurs personnes menacées de génocide.
Art. 2 - Le dernier dimanche d'avril devient « Journée nationale du souvenir des victimes et héros de la déportation ».
b. Décret n° 93-150 du 3 février 1993
Art. Ier - Il est institué une Journée nationale à la mémoire des victimes des persécutions racistes et antisémites commises sous l'autorité de fait dite « gouvernement de l'État français » (1940-1944). Cette journée est fixée au 16 juillet, date anniversaire de la rafle du vélodrome d'Hiver à Paris, si ce jour est un dimanche ; sinon, elle sera reportée au dimanche suivant.
c. Loi n° 2000-644 du 10 juillet 2000
Il est institué une Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'État français et d'hommage aux « Justes » de France qui ont recueilli, protégé ou défendu, au péril de leur propre vie et sans aucune contrepartie, une ou plusieurs personnes menacées de génocide.
Document 3 : Shoah de Claude Lanzmann.
Document 4 : Le rôle de Vichy dans la déportation des juifs selon Paxton.
Interview de Robert Paxton sur France Inter à l'occasion de la réédition augmentée de son ouvrage Vichy et les juifs,
France Inter, 20/10/2015
France Inter, 20/10/2015
Document 5 : Les procès en France.
Journal télévisé 20 heures, France 2, 2.04.1998, Ina
Document 6 : L'avènement du témoin.
Dans une première période, celle qui suit immédiatement la Shoah, [...] les associations de survivants juifs sont des lieux de sociabilité et d’entraide sans l'ambition de s'adresser à d'autres qu'à ceux qui ont vécu la même expérience. [...] Ainsi, la mémoire individuelle, inscrite dans celle d’un groupe clos, se construit dès l'événement. Mais cette mémoire n'est pas dans l’air du temps [...]. Pour que le souvenir du génocide pénètre le champ social, il faut que [...] le témoignage notamment, un des vecteurs essentiels mémoire, se charge d'un sens qui dépasse l'expérience individuelle […].
Le procès Eichmann marque un véritable tournant dans l'émergence de la mémoire du génocide, en France, en Allemagne, aux États-Unis comme en Israël. [...] Pour la première fois, un procès se fixe comme objectif explicite de donner une leçon d'histoire. Pour la première fois, apparaît le thème de la pédagogie et de la transmission [...]. Le procès Eichmann marque aussi l'avènement du témoin. En effet, à la différence du procès de Nuremberg où l'accusation s'était fondée principalement sur des documents, le procureur israélien, Gideon Hausner, décide de construire la scénographie du procès sur la déposition des témoins [...]. Le procès Eichmann a libéré la parole des témoins. Il a créé une demande sociale de témoignages, comme le feront en France d'autres procès ultérieurs, ceux de Klaus Barbie, Paul Touvier et Maurice Papon. Avec le procès Eichmann, le survivant des camps et ghettos acquiert son identité de survivant parce que la société la lui reconnaît.
Le procès Eichmann marque un véritable tournant dans l'émergence de la mémoire du génocide, en France, en Allemagne, aux États-Unis comme en Israël. [...] Pour la première fois, un procès se fixe comme objectif explicite de donner une leçon d'histoire. Pour la première fois, apparaît le thème de la pédagogie et de la transmission [...]. Le procès Eichmann marque aussi l'avènement du témoin. En effet, à la différence du procès de Nuremberg où l'accusation s'était fondée principalement sur des documents, le procureur israélien, Gideon Hausner, décide de construire la scénographie du procès sur la déposition des témoins [...]. Le procès Eichmann a libéré la parole des témoins. Il a créé une demande sociale de témoignages, comme le feront en France d'autres procès ultérieurs, ceux de Klaus Barbie, Paul Touvier et Maurice Papon. Avec le procès Eichmann, le survivant des camps et ghettos acquiert son identité de survivant parce que la société la lui reconnaît.
Yves Léonard, « La mémoire de la Shoah », La Mémoire, entre histoire et politique Les Cahiers français, La Documentation française, juillet-août 2001.
Document 7 : En 2010, Serge Klarsteld révèle le rôle majeur de Pétain dans la loi du statut des Juifs.
Le brouillon du texte portant sur le statut des Juifs a été versé aux archives du mémorial de la Shoah en 2011. Il est annoté de la main de Pétain, et a été promulgué le 3 octobre 1940.
On disposait du témoignage de Paul Baudouin, alors ministre des Affaires étrangères qui avait noté qu'en Conseil des Ministres du 1er octobre « pendant deux heures est étudié le statut des israélites. C'est le Maréchal qui se montre le plus sévère. Il insiste en particulier pour que "la Justice et l'Enseignement ne contiennent aucun Juif" ». Ce témoignage était le seul qui faisait état de la volonté active de Pétain de sévir contre les Juifs. Aujourd'hui c'est Pétain lui-même qui confirme et passe aux aveux grâce à ce document où il aggrave personnellement et considérablement les mesures prévues pour exclure les Juifs français de la communauté nationale. 1. Pétain complète la liste des tribunaux et juridictions d'où sont exclus les Juifs par les «Justices de Paix » et ajoute aux mandats interdits aux Juifs « toutes assemblées issues de l'élection ». [...] 2. Pétain élargit à « tous les membres du corps enseignant » l'interdiction pour les Juifs d'exercer alors que les rédacteurs du statut n'avaient prévu cette interdiction que pour les recteurs, inspecteurs, proviseurs et directeurs d'établissements primaires et secondaires. [...] 4. Pétain conclut ces mesures antijuives en édictant également de sa main que seront publiés au Journal Officiel « les motifs qui les justifient ». C'est dire qu'il adhère totalement à la déclaration gouvernementale extrêmement antisémite rendue publique le 17 et 18 octobre 1940, lors de la promulgation de ce statut des Juifs et faisant des Juifs les boucs émissaires de sa défaite. Serge Klarsfeld, « Le premier statut des Juifs », contribution au colloque organisé à l'Hôtel de Ville de Paris pour le 70e anniversaire du premier statut des Juifs, 4 octobre 2010.
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Document 8 : Combattre le négationnisme.
L’instruction constitue un des vecteurs privilégiés de la transmission du savoir. « La mémoire est-elle menacée ? » questionne Le Monde pendant l'été 1988. Pour conjurer ce risque certains ont entrepris des actions auprès des jeunes afin de les sensibiliser à l'histoire du génocide. Le Comité d'information des lycéens sur la Shoah [...] propose à des jeunes gens des voyages à Auschwitz. Comme le précise l'avocat [S. Klarsfeld], ce ne sont pas des pèlerinages : « Nous voulons que ces garçons et ces filles, en majorité non juifs, soient des témoins, des relais de la mémoire. »
En mars 1988 une centaine d'enfants se retrouvent ainsi sur les lieux du camp d'extermination et entendent les explications d'anciens déportés [...].
Parallèlement certaines personnes, comme Henri Bulawko, résistant et ancien déporté d'Auschwitz, président de l'amicale des anciens déportés juifs de France, se rendent dans des lycées pour témoigner et transmettre leur expérience. Le combat contre le négationnisme et ses adeptes passe inéluctablement par la sensibilisation des jeunes générations susceptibles d'accréditer ce discours parce que n'ayant pas vécu la période de la Seconde Guerre mondiale, ils sont plus à même de se laisser gagner par le doute. Nous le savons les [négationnistes] [...] ambitionnent de toucher la génération des 15-20 ans.
En mars 1988 une centaine d'enfants se retrouvent ainsi sur les lieux du camp d'extermination et entendent les explications d'anciens déportés [...].
Parallèlement certaines personnes, comme Henri Bulawko, résistant et ancien déporté d'Auschwitz, président de l'amicale des anciens déportés juifs de France, se rendent dans des lycées pour témoigner et transmettre leur expérience. Le combat contre le négationnisme et ses adeptes passe inéluctablement par la sensibilisation des jeunes générations susceptibles d'accréditer ce discours parce que n'ayant pas vécu la période de la Seconde Guerre mondiale, ils sont plus à même de se laisser gagner par le doute. Nous le savons les [négationnistes] [...] ambitionnent de toucher la génération des 15-20 ans.
Valérie Igounet, Histoire du négationnisme en France, Seuil, 2000
Document 9 : La République peut-elle assumer les crimes de l’État français.
Le président de la République François Mitterrand répond aux questions du journaliste Jean-Pierre Elkabach.
Question : Au bout du compte, quel est votre propre jugement sur le régime de Vichy ? Est-ce qu'il y a des choses qui sont aujourd'hui, pour vous, condamnables et irréparables ?
Le président : Écoutez, cela fait combien de fois que je le dis ? La première chose condamnable pour Vichy, c'est d'avoir tiré un trait sur la République. C'était un acte vraiment intolérable et c'est comme cela que s'est installé un état de fait. [...]
Question :[...] Pourquoi la France ne demanderait-elle pas pardon des crimes et des horreurs qui ont été commises à cette époque-là, parfois en son nom ?
Le président : Non, non. La République n'a rien à voir avec cela. Et j'estime moi, en mon âme et conscience, que la France non plus n'en est pas responsable, que ce sont des minorités activistes qui ont saisi l'occasion de la défaite pour s'emparer du pouvoir et qui sont comptables de ces crimes-là. Pas la République, pas la France. Et donc je ne ferai pas d'excuses au nom de la France. Et j'ai déjà dit cela. […]
Question : Au bout du compte, quel est votre propre jugement sur le régime de Vichy ? Est-ce qu'il y a des choses qui sont aujourd'hui, pour vous, condamnables et irréparables ?
Le président : Écoutez, cela fait combien de fois que je le dis ? La première chose condamnable pour Vichy, c'est d'avoir tiré un trait sur la République. C'était un acte vraiment intolérable et c'est comme cela que s'est installé un état de fait. [...]
Question :[...] Pourquoi la France ne demanderait-elle pas pardon des crimes et des horreurs qui ont été commises à cette époque-là, parfois en son nom ?
Le président : Non, non. La République n'a rien à voir avec cela. Et j'estime moi, en mon âme et conscience, que la France non plus n'en est pas responsable, que ce sont des minorités activistes qui ont saisi l'occasion de la défaite pour s'emparer du pouvoir et qui sont comptables de ces crimes-là. Pas la République, pas la France. Et donc je ne ferai pas d'excuses au nom de la France. Et j'ai déjà dit cela. […]
Interview du 12 septembre 1994, palais de l'Elysée.
Document 10 : Jacques Chirac reconnaît les crimes de l'État français (1995).
Le président Jacques Chirac prononce un discours à l'occasion de la commémoration de la rafle du Vel d'Hiv qui, les 16 et 17 juillet 1942, a abouti à l'arrestation et à la déportation de 12 884 Juifs parisiens.
Il est, dans la vie d'une nation, des moments qui blessent la mémoire, et l'idée que l'on se fait de son pays [...], ces heures noires [qui] souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'État français. [...] Le 16 juillet 1942, 450 policiers et gendarmes français, sous l'autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis. Ce jour-là, dans la capitale et en région parisienne, près de 10 000 hommes, femmes et enfants juifs furent arrêtés à leur domicile, au petit matin [...]. La France, patrie des Lumières et des Droits de l'homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. [...] Soixante-quatorze trains partiront vers Auschwitz. Soixante-seize mille déportés juifs de France n'en reviendront pas. Nous conservons à leur égard une dette imprescriptible.
Reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par l'État. Ne rien occulter des heures sombres de notre Histoire,
c'est tout simplement défendre une idée de l'Homme, de sa liberté et de sa dignité. C'est lutter contre les forces obscures, sans cesse à l'œuvre. [...] Certes, il y a les erreurs commises, il y a les fautes, il y a une faute collective. Mais il y a aussi la France, une certaine idée de la France, droite, généreuse, fidèle à ses traditions, à son génie. Cette France n'a jamais été à Vichy. Elle n'est plus, et depuis longtemps, à Paris. Elle est dans les sables libyens et partout où se battent des Français libres. Elle est à Londres, incarnée par le général de Gaulle. Elle est présente, une et indivisible, dans le cœur de ces Français, ces Justes parmi les nations qui, au plus noir de la tourmente, en sauvant au péril de leur vie [...] les trois-quarts de la communauté juive résidant en France, ont donné vie à ce qu'elle a de meilleur.
Il est, dans la vie d'une nation, des moments qui blessent la mémoire, et l'idée que l'on se fait de son pays [...], ces heures noires [qui] souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'État français. [...] Le 16 juillet 1942, 450 policiers et gendarmes français, sous l'autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis. Ce jour-là, dans la capitale et en région parisienne, près de 10 000 hommes, femmes et enfants juifs furent arrêtés à leur domicile, au petit matin [...]. La France, patrie des Lumières et des Droits de l'homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. [...] Soixante-quatorze trains partiront vers Auschwitz. Soixante-seize mille déportés juifs de France n'en reviendront pas. Nous conservons à leur égard une dette imprescriptible.
Reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par l'État. Ne rien occulter des heures sombres de notre Histoire,
c'est tout simplement défendre une idée de l'Homme, de sa liberté et de sa dignité. C'est lutter contre les forces obscures, sans cesse à l'œuvre. [...] Certes, il y a les erreurs commises, il y a les fautes, il y a une faute collective. Mais il y a aussi la France, une certaine idée de la France, droite, généreuse, fidèle à ses traditions, à son génie. Cette France n'a jamais été à Vichy. Elle n'est plus, et depuis longtemps, à Paris. Elle est dans les sables libyens et partout où se battent des Français libres. Elle est à Londres, incarnée par le général de Gaulle. Elle est présente, une et indivisible, dans le cœur de ces Français, ces Justes parmi les nations qui, au plus noir de la tourmente, en sauvant au péril de leur vie [...] les trois-quarts de la communauté juive résidant en France, ont donné vie à ce qu'elle a de meilleur.
Jacques Chirac, discours à l’occasion de la commémoration du 53e anniversaire de la rafle du Vel d'Hiv, 16 juillet 1995.
Document 11 : la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat par les historiens
Certains feignirent de croire que Jacques Chirac concédait en 1995 ce que François Mitterrand avait obstinément refusé depuis 1992 : déclarer, comme beaucoup le réclamaient alors, que la République française était bien comptable de la persécution des juifs conduite par le régime de Pétain. Or, sur ce point essentiel, le nouveau président s'en est tenu à la lecture gaulliste que son prédécesseur avait tactiquement faite sienne : il est absurde au plan historique, et injuste au plan moral, de demander à la République d'assumer les crimes d'un régime qui l'avait défaite et condamnée. Jacques Chirac n'a pas cédé sur cette revendication. La rupture se situe ailleurs. Elle résulte d'abord du fait que, pour la première fois, un président de la République employait un langage dépourvu des ambiguïtés, des détours et des contorsions qui avaient caractérisé jusque-là la plupart des discours présidentiels - et ils furent en définitive assez rares - abordant la question de Vichy.
Elle résulte ensuite d'un changement de perspective. Contrairement à François Mitterrand, contrairement à Georges Pompidou qui tous deux, dans des contextes différents, estimèrent qu'il fallait mettre un terme à « la guerre civile permanente » entre Français, Jacques Chirac affirme qu'il est essentiel d'expliquer aux citoyens de toutes les générations que la France a connu « des journées de larmes et de honte [...] qui blessent la mémoire et l'idée que l'on se fait de ce pays [...], qui sont une injure à notre passé et à nos traditions ». Si Jacques Chirac ne fait aucune concession sur la question de la République, il met en cause la responsabilité de l'« État », et non plus seulement de l'« État français », pour évoquer la part de « responsabilité française ». Ce sont des policier* français, certes aux ordres d'un régime supposé illégitime, qui ont opéré les rafles de juifs, lesquels ont été parqués d'abord dans des camps français et déportés dans des trains français. Si la République n'est pas comptable des crimes de Vichy, le principe de la continuité de l'État, surtout dans un pays centralisé comme la France, implique qu'il ait fallu, d'une manière ou d'une autre, assumer a posteriori des actes commis par l'administration, quand bien même celle-ci était alors aux ordres d'une « autorité de fait ». De ce point de vue, le discours de Jacques Chirac se plie non à un juridisme étroit, mais à une réalité historique difficile à contester aujourd'hui.
Mais Jacques Chirac va encore plus loin dans la rupture avec la tradition. Il estime que la « France » est également impliquée. Il ira même jusqu'à évoquer une « faute collective », un terme moralement très contestable et qui est d'ailleurs récusé en droit : il fut refusé en 1948 par les Nations unies pour qualifier les crimes du IIIe Reich ; peut-il, un demi-siècle après, qualifier ceux du complice ?
Paradoxalement, la force et la justesse de ce discours tiennent à sa contradiction fondamentale. Celle-ci ne réside pas dans la condamnation de l'État, des gouvernants, des élites, des fonctionnaires qui ont commis des crimes ou les ont laissé commettre. Elle réside plutôt dans l'évocation, à plusieurs reprises, de cette « France », donc de la nation, sans que l'on sache précisément de quelle « France » il s'agit. Jacques Chirac déclare en effet, d'une part : « La France, patrie des Lumières et des Droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là [le 16 juillet 1942], accomplissait l'irréparable. » Mais il déclare, d'autre part, un peu plus loin dans le discours : « Mais il y a aussi la France, une certaine idée de la France, droite, généreuse, fidèle à ses traditions, à son génie », celle qui survivait « dans le cœur de ces Français », à l'extérieur comme à l'intérieur, qui n'ont pas plié l'échiné. Ce n'est d'ailleurs en rien un hasard si cette dernière phrase suit l'invocation d'une « faute collective », comme pour atténuer immédiatement l'effet de cette imputation lourde. Là réside la contradiction insurmontable : c'est bien le même pays qui a d'une part accouché du régime de Vichy et d'autre part produit de Gaulle et la Résistance.
Elle résulte ensuite d'un changement de perspective. Contrairement à François Mitterrand, contrairement à Georges Pompidou qui tous deux, dans des contextes différents, estimèrent qu'il fallait mettre un terme à « la guerre civile permanente » entre Français, Jacques Chirac affirme qu'il est essentiel d'expliquer aux citoyens de toutes les générations que la France a connu « des journées de larmes et de honte [...] qui blessent la mémoire et l'idée que l'on se fait de ce pays [...], qui sont une injure à notre passé et à nos traditions ». Si Jacques Chirac ne fait aucune concession sur la question de la République, il met en cause la responsabilité de l'« État », et non plus seulement de l'« État français », pour évoquer la part de « responsabilité française ». Ce sont des policier* français, certes aux ordres d'un régime supposé illégitime, qui ont opéré les rafles de juifs, lesquels ont été parqués d'abord dans des camps français et déportés dans des trains français. Si la République n'est pas comptable des crimes de Vichy, le principe de la continuité de l'État, surtout dans un pays centralisé comme la France, implique qu'il ait fallu, d'une manière ou d'une autre, assumer a posteriori des actes commis par l'administration, quand bien même celle-ci était alors aux ordres d'une « autorité de fait ». De ce point de vue, le discours de Jacques Chirac se plie non à un juridisme étroit, mais à une réalité historique difficile à contester aujourd'hui.
Mais Jacques Chirac va encore plus loin dans la rupture avec la tradition. Il estime que la « France » est également impliquée. Il ira même jusqu'à évoquer une « faute collective », un terme moralement très contestable et qui est d'ailleurs récusé en droit : il fut refusé en 1948 par les Nations unies pour qualifier les crimes du IIIe Reich ; peut-il, un demi-siècle après, qualifier ceux du complice ?
Paradoxalement, la force et la justesse de ce discours tiennent à sa contradiction fondamentale. Celle-ci ne réside pas dans la condamnation de l'État, des gouvernants, des élites, des fonctionnaires qui ont commis des crimes ou les ont laissé commettre. Elle réside plutôt dans l'évocation, à plusieurs reprises, de cette « France », donc de la nation, sans que l'on sache précisément de quelle « France » il s'agit. Jacques Chirac déclare en effet, d'une part : « La France, patrie des Lumières et des Droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là [le 16 juillet 1942], accomplissait l'irréparable. » Mais il déclare, d'autre part, un peu plus loin dans le discours : « Mais il y a aussi la France, une certaine idée de la France, droite, généreuse, fidèle à ses traditions, à son génie », celle qui survivait « dans le cœur de ces Français », à l'extérieur comme à l'intérieur, qui n'ont pas plié l'échiné. Ce n'est d'ailleurs en rien un hasard si cette dernière phrase suit l'invocation d'une « faute collective », comme pour atténuer immédiatement l'effet de cette imputation lourde. Là réside la contradiction insurmontable : c'est bien le même pays qui a d'une part accouché du régime de Vichy et d'autre part produit de Gaulle et la Résistance.
Eric Conan, Henry Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, Pluriel, 1997, réédition mise à jour 2013.
Document 12 : Jacques Chirac au mémorial de la Shoah (2005)
Jacques Chirac, président de la République, Simone Veil et Eric de Rothschild, président du mémorial, lors de l'inauguration du mémorial.