CAPACITÉS TRAVAILLÉES
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NOTIONS TRAVAILLÉESRESSOURCE EN CLASSE INVERSÉE |
objectifs
- Confronter deux documents d'historien
- Rédiger une courte synthèse répondant à la problématique
- Comprendre le rôle des historiens dans l'évolution de la mémoire de l'occupation
Comment les historiens remettent en cause l’histoire de Vichy ?
TEMPS 1 : Je teste mes connaissances
TEMPS 2 : MISE EN Activité
QUESTIONS :
EXPLOITER ET CONFRONTER DES INFORMATIONS :
ORGANISER ET SYNTHETISER DES INFORMATIONS : 5. A partir de tes réponses et de la vidéo, montre que le travail d’historien a modifié la mémoire de l’occupation. |
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Document 1 : L’occupation et le rôle de Vichy selon Robert Aron.
Robert Aron (1898-1975) est un écrivain français, auteur d’essais politiques et d’ouvrages historiques. Robert Aron entreprend, à partir de 1950, un important travail de recherches historiques portant sur l'histoire contemporaine de la France, avec, notamment, Histoire de Vichy (1954), Histoire de la Libération (1959), Histoire de l'Epuration (1967-1975).
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Les partisans de l'armistice considèrent une paix prochaine et un lent effort de reconstruction française, tandis que les adversaires de l'armistice supposent, eux, une guerre plus longue qui, par la victoire, apportera un brusque rétablissement de notre pays : c'est la position affirmée par le général de Gaulle, dès ses premiers messages qui constituent la réponse aux premiers messages du maréchal Pétain. L'un et l'autre jouent sur le temps, mais jouent en sens inverse. L'homme de Bordeaux et l'homme de Londres se situent dès ce moment dans des perspectives historiques inconciliables.
Pour Philippe Pétain, la guerre est finie (…). La décision militaire intervenue, c'est par un lent et patient travail de négociations avec le vainqueur et de redressement du vaincu que celui-ci peut se relever ; le premier devoir d'un chef de gouvernement est de protéger les Français demeurés en France.
Pour Charles de Gaulle, au contraire, la guerre commence seulement. Une guerre d'une autre nature, d'une autre époque que les conflits précédents. Une guerre à l'échelle mondiale, où la France, qui a perdu la première bataille, peut avec ses alliés et son Empire être présente à la victoire,
Ce qui plus encore différencie les deux attitudes, les deux hommes et les deux camps entre lesquels jusqu'à nos jours vont se partager les Français, ce sont deux attitudes sentimentales opposées, deux conceptions de l’honneur (…).
Dans leurs messages, Pétain et de Gaulle invoquent pareillement l'honneur : « Du moins l'honneur est-il sauf » affirme le 25 juin le Maréchal.
Le général réplique : « On vous a fait croire, Monsieur le Maréchal, que cet armistice demandé à des soldats par le grand soldat que vous êtes serait honorable pour la France (…). La Patrie, le Gouvernement, vous-même, réduits à la servitude. Ah, pour obtenir et pour accepter un pareil acte d'asservissement, on n'avait pas besoin du vainqueur de Verdun : n'importe qui aurait suffi. »
La divergence de ces deux variations sur l'honneur ne résulte pas seulement de la façon dont les deux hommes interprètent les mêmes faits. Elle résulte surtout de deux conceptions différentes de l'honneur qui, normalement, coïncident, mais dans les moments de crise sont exposés à diverger.
L'honneur qu'allègue le maréchal Pétain, c'est l'honneur d’un gouvernement qui a su maintenir les données de son indépendance et protège les populations : en un mot, c'est l'honneur civique. Celui qu'invoque le général de Gaulle, c'est l'honneur militaire pour qui s'avouer vaincu est toujours un acte infamant (…).
Le premier correspondait à l'aventure exaltante, mais d’apparence désespérée, dont Charles de Gaulle est l’annonciateur. Le second à l’épreuve lente et douloureuse dont Philippe Pétain ne prévoyait ni la durée ni la fin.
Tous deux étaient également nécessaires à la France. Selon le mot que l’on prêtera successivement à Pétain et à de Gaulle : « le Maréchal était le bouclier, le Général l’épée ».
Pour l'immédiat, le Maréchal parut avoir raison ; pour l'avenir, le général a vu plus juste. Il n'en résulte pas que son adversaire soit coupable, pour avoir signé l'armistice : « L'armistice, a déclaré en Haute-Cour le procureur général Mornet, qui fut un des plus acharnés à requérir contre Vichy, est un fait ; l'armistice ne constitue pas un des chefs de l'accusation : c'est la préface de l'accusation. » Qui pourrait se montrer plus implacable que Mornet ?
Au maréchal Pétain, en juin 1940, l'armistice apparaît, en tout cas, comme la préface d'une entreprise de rénovation nationale qui est urgente et nécessaire (…).
Ainsi Laval continue son double jeu, non pas alors par duplicité, mais parce qu'il croit que la situation ambiguë où se trouve la France l'oblige à des efforts apparemment contraires. D'une part, limiter la main mise nazie sur notre population et sur notre économie D'autre part, maintenir la France associée à ce Reich dont il imagine toujours qu'il sortira victorieux de la bataille; en septembre 1943, l'effondrement du fascisme ne modifie pas la confiance de Laval en sa politique.
Pour Philippe Pétain, la guerre est finie (…). La décision militaire intervenue, c'est par un lent et patient travail de négociations avec le vainqueur et de redressement du vaincu que celui-ci peut se relever ; le premier devoir d'un chef de gouvernement est de protéger les Français demeurés en France.
Pour Charles de Gaulle, au contraire, la guerre commence seulement. Une guerre d'une autre nature, d'une autre époque que les conflits précédents. Une guerre à l'échelle mondiale, où la France, qui a perdu la première bataille, peut avec ses alliés et son Empire être présente à la victoire,
Ce qui plus encore différencie les deux attitudes, les deux hommes et les deux camps entre lesquels jusqu'à nos jours vont se partager les Français, ce sont deux attitudes sentimentales opposées, deux conceptions de l’honneur (…).
Dans leurs messages, Pétain et de Gaulle invoquent pareillement l'honneur : « Du moins l'honneur est-il sauf » affirme le 25 juin le Maréchal.
Le général réplique : « On vous a fait croire, Monsieur le Maréchal, que cet armistice demandé à des soldats par le grand soldat que vous êtes serait honorable pour la France (…). La Patrie, le Gouvernement, vous-même, réduits à la servitude. Ah, pour obtenir et pour accepter un pareil acte d'asservissement, on n'avait pas besoin du vainqueur de Verdun : n'importe qui aurait suffi. »
La divergence de ces deux variations sur l'honneur ne résulte pas seulement de la façon dont les deux hommes interprètent les mêmes faits. Elle résulte surtout de deux conceptions différentes de l'honneur qui, normalement, coïncident, mais dans les moments de crise sont exposés à diverger.
L'honneur qu'allègue le maréchal Pétain, c'est l'honneur d’un gouvernement qui a su maintenir les données de son indépendance et protège les populations : en un mot, c'est l'honneur civique. Celui qu'invoque le général de Gaulle, c'est l'honneur militaire pour qui s'avouer vaincu est toujours un acte infamant (…).
Le premier correspondait à l'aventure exaltante, mais d’apparence désespérée, dont Charles de Gaulle est l’annonciateur. Le second à l’épreuve lente et douloureuse dont Philippe Pétain ne prévoyait ni la durée ni la fin.
Tous deux étaient également nécessaires à la France. Selon le mot que l’on prêtera successivement à Pétain et à de Gaulle : « le Maréchal était le bouclier, le Général l’épée ».
Pour l'immédiat, le Maréchal parut avoir raison ; pour l'avenir, le général a vu plus juste. Il n'en résulte pas que son adversaire soit coupable, pour avoir signé l'armistice : « L'armistice, a déclaré en Haute-Cour le procureur général Mornet, qui fut un des plus acharnés à requérir contre Vichy, est un fait ; l'armistice ne constitue pas un des chefs de l'accusation : c'est la préface de l'accusation. » Qui pourrait se montrer plus implacable que Mornet ?
Au maréchal Pétain, en juin 1940, l'armistice apparaît, en tout cas, comme la préface d'une entreprise de rénovation nationale qui est urgente et nécessaire (…).
Ainsi Laval continue son double jeu, non pas alors par duplicité, mais parce qu'il croit que la situation ambiguë où se trouve la France l'oblige à des efforts apparemment contraires. D'une part, limiter la main mise nazie sur notre population et sur notre économie D'autre part, maintenir la France associée à ce Reich dont il imagine toujours qu'il sortira victorieux de la bataille; en septembre 1943, l'effondrement du fascisme ne modifie pas la confiance de Laval en sa politique.
Robert Aron, Histoire de Vichy 1940-1944, Fayard, 1954
Document 2 : l’occupation et le rôle de Vichy vus par Robert Paxton.
Robert Owen Paxton (1932) est un historien américain spécialiste de la Seconde Guerre mondiale. Il a notamment conduit des recherches importantes sur la France de Vichy.
Il s'installe à Paris en 1960 pour faire sa thèse sur la formation des officiers français, mais oriente finalement son travail de thèse sur l'étude de l'Armée de l'armistice. C'est à ce moment qu'en consultant les archives allemandes, il constate qu'elles divergent de l’Histoire de Vichy publiée en 1954 par Robert Aron. En 1966, Paxton publie sa thèse et devient professeur à l'université de Columbia, à New York. En 1972, il publie le livre qui le rendra célèbre : Vichy France : Old Guard and New Order, traduit en français en 1973 sous le titre La France de Vichy. |
À l'automne 1960, étudiant de Harvard, j'arrivais à Paris pour entamer ma thèse d'histoire sur le corps des officiers dans la France de Vichy. Bien que seize ans seulement se fussent écoulés depuis la Libération, je croyais naïvement qu'un historien pouvait étudier la France de l'Occupation avec la même liberté que la guerre de Sécession (…). Les blessures de l'Occupation étaient encore si douloureuses que, loin de stimuler la recherche historique, elles l'inhibaient : on m'informa que les archives françaises devaient rester closes cinquante ans (…).
J'ai tout de même réussi à trouver des archives sur la question, celles des Allemands (…). Je me suis aperçu que les postulats qui soutenaient l’Histoire de Vichy de Robert Aron, l'ouvrage de référence en ces années-là, ne correspondaient pas à ce que j'étais en train de lire. Force était de conclure que de simples corrections ponctuelles ne suffiraient pas à rétablir une concordance entre cet ouvrage et ces documents : comprendre véritablement ce qu'avait été le régime de Vichy demandait de recourir à un cadre interprétatif fondamentalement différent (…).
Robert Aron s'appuie sur quatre idées centrales, véritables piliers de son interprétation de l'histoire de Vichy : 1) il y a eu, de la part des nazis, un Diktat sans appel ; 2) Vichy s'est voulu le « bouclier » opposé à ce Diktat ; 3) entre le régime et les Alliés, il y avait un secret « double jeu » ; 4) l'opinion française était globalement attentiste, prête à reprendre le combat au côté des Alliés quand la situation serait mûre (…).
Les principaux documents utilisés par Robert Aron pour son Histoire de Vichy sont les transcriptions sténographiques des audiences publiques des procès d'épuration d’après-guerre. Que les procès en épuration constituent une source indispensable, nul ne peut le nier. mais à trop dépendre d’elle, l’ouvrage pionnier de Robert Aron s’est trouvé biaisé (…). J'en suis alors arrivé à la conclusion que les quatre piliers de l'argumentation de Robert Aron étaient le reflet d'opinions liées à une conjoncture très particulière : les derniers mois de l'Occupation et les premiers temps de la Libération (…).
Prenons la question du Diktat (…). En juin 1940, Hitler n'avait que des objectifs limités à l'égard de la France : convaincu que la guerre sur le front ouest était loin d'être terminée, il entendait simplement neutraliser la France, ses ressources humaines et matérielles, pendant l'assaut final contre l'Angleterre, et se donner une plate-forme sûre pour le lancer. Et pour que tout cela se fasse au moindre coût pour l'Allemagne, il fallait que cette France neutralisée conservât un gouvernement (…). À l'automne 1941, en revanche, les objectifs de l'occupant avaient changé radicalement de dimension. Alors que l'Angleterre résistait toujours, Hitler venait de se lancer dans une guerre d'extermination contre la Russie soviétique. Il était désormais vital d'arracher à l'Europe occupée des ressources encore plus importantes : la France devint le principal fournisseur étranger de main-d'œuvre, de matières premières et de produits manufacturés pour la machine de guerre allemande (…).
Le second pilier de la construction de Robert Aron, la métaphore du « bouclier », date aussi de la Libération (…). L'image du bouclier n'est pas celle qui s'impose quand on considère la tactique globale de Vichy face à l'occupant : au lieu de s'en tenir strictement aux clauses de l'accord d'armistice, le régime a proposé de lui-même, dès juillet 1940, des concessions françaises en échange de la levée de certaines restrictions imposées par l'armistice et d'un statut plus confortable de partenaire volontaire, quoique neutre, de l'Europe hitlérienne. La formule du « bouclier », inventée en 1945, n'est qu'un stratagème pour minimiser les initiatives de Vichy (…).
Quant à l'argument du « double jeu », il apparaît lui aussi pour la première fois lors des procès d'épuration et dans les mémoires d'après-guerre. À la Libération, plusieurs dignitaires de Vichy entreprirent de révéler leurs négociations clandestines avec les Anglais et les Américains. Robert Aron fait grand cas de ces histoires (…). Mais la thèse du double jeu s'est écroulée devant les révélations des archives (…).
Quant au quatrième pilier de l'argumentation de Robert Aron, l'attentisme de Vichy, à l'unisson d'une population qui penchait plutôt vers les Alliés, il s'appuyait sur l'accord tacite des gaullistes et des communistes, à la Libération, pour laisser entendre que l'opinion publique française s'était rangée dès le début du côté de la Résistance (…).
J'ai tout de même réussi à trouver des archives sur la question, celles des Allemands (…). Je me suis aperçu que les postulats qui soutenaient l’Histoire de Vichy de Robert Aron, l'ouvrage de référence en ces années-là, ne correspondaient pas à ce que j'étais en train de lire. Force était de conclure que de simples corrections ponctuelles ne suffiraient pas à rétablir une concordance entre cet ouvrage et ces documents : comprendre véritablement ce qu'avait été le régime de Vichy demandait de recourir à un cadre interprétatif fondamentalement différent (…).
Robert Aron s'appuie sur quatre idées centrales, véritables piliers de son interprétation de l'histoire de Vichy : 1) il y a eu, de la part des nazis, un Diktat sans appel ; 2) Vichy s'est voulu le « bouclier » opposé à ce Diktat ; 3) entre le régime et les Alliés, il y avait un secret « double jeu » ; 4) l'opinion française était globalement attentiste, prête à reprendre le combat au côté des Alliés quand la situation serait mûre (…).
Les principaux documents utilisés par Robert Aron pour son Histoire de Vichy sont les transcriptions sténographiques des audiences publiques des procès d'épuration d’après-guerre. Que les procès en épuration constituent une source indispensable, nul ne peut le nier. mais à trop dépendre d’elle, l’ouvrage pionnier de Robert Aron s’est trouvé biaisé (…). J'en suis alors arrivé à la conclusion que les quatre piliers de l'argumentation de Robert Aron étaient le reflet d'opinions liées à une conjoncture très particulière : les derniers mois de l'Occupation et les premiers temps de la Libération (…).
Prenons la question du Diktat (…). En juin 1940, Hitler n'avait que des objectifs limités à l'égard de la France : convaincu que la guerre sur le front ouest était loin d'être terminée, il entendait simplement neutraliser la France, ses ressources humaines et matérielles, pendant l'assaut final contre l'Angleterre, et se donner une plate-forme sûre pour le lancer. Et pour que tout cela se fasse au moindre coût pour l'Allemagne, il fallait que cette France neutralisée conservât un gouvernement (…). À l'automne 1941, en revanche, les objectifs de l'occupant avaient changé radicalement de dimension. Alors que l'Angleterre résistait toujours, Hitler venait de se lancer dans une guerre d'extermination contre la Russie soviétique. Il était désormais vital d'arracher à l'Europe occupée des ressources encore plus importantes : la France devint le principal fournisseur étranger de main-d'œuvre, de matières premières et de produits manufacturés pour la machine de guerre allemande (…).
Le second pilier de la construction de Robert Aron, la métaphore du « bouclier », date aussi de la Libération (…). L'image du bouclier n'est pas celle qui s'impose quand on considère la tactique globale de Vichy face à l'occupant : au lieu de s'en tenir strictement aux clauses de l'accord d'armistice, le régime a proposé de lui-même, dès juillet 1940, des concessions françaises en échange de la levée de certaines restrictions imposées par l'armistice et d'un statut plus confortable de partenaire volontaire, quoique neutre, de l'Europe hitlérienne. La formule du « bouclier », inventée en 1945, n'est qu'un stratagème pour minimiser les initiatives de Vichy (…).
Quant à l'argument du « double jeu », il apparaît lui aussi pour la première fois lors des procès d'épuration et dans les mémoires d'après-guerre. À la Libération, plusieurs dignitaires de Vichy entreprirent de révéler leurs négociations clandestines avec les Anglais et les Américains. Robert Aron fait grand cas de ces histoires (…). Mais la thèse du double jeu s'est écroulée devant les révélations des archives (…).
Quant au quatrième pilier de l'argumentation de Robert Aron, l'attentisme de Vichy, à l'unisson d'une population qui penchait plutôt vers les Alliés, il s'appuyait sur l'accord tacite des gaullistes et des communistes, à la Libération, pour laisser entendre que l'opinion publique française s'était rangée dès le début du côté de la Résistance (…).
Robert Paxton, La France de Vichy, 1940-1944, Seuil, 1973, avant-propos à la seconde édition.
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